Le Nobel de Littérature à Kazuo Ishiguro

Honneur aux lettres anglaises

Par
Publié le 09/10/2017
Article réservé aux abonnés
Livres-Kazuo Ishiguro

Livres-Kazuo Ishiguro
Crédit photo : DR

Le comité Nobel a encore surpris en préférant aux favoris – le Kenyan Ngugi wa Thiong’o, l’Américain Philip Roth ou l’Israélien Amos Oz, mais aussi le Japonais Haruki Murakami (dont le nom était cité pour la onzième année consécutive) – un écrivain qui est né à Nagasaki en 1954, a découvert l’Angleterre à l’âge de 6 ans avec sa famille et a acquis la nationalité britannique en 1982. Il a loué le fait que le lauréat, dans des « romans d’une puissante force émotionnelle, a révélé l’abîme sous notre illusoire sentiment de confort dans le monde ».

Après des études en littérature et philosophie entrecoupées de voyages et de premières tentatives d’écriture, Kazuo Ishiguro entre en littérature par la grande porte avec « Lumière pâle sur les collines » (1982), distingué par la Royal Society of Literature, et « Un artiste du monde flottant » (1986), prix Whitbread, qui évoquent le Japon d’après-guerre occupé à reconstruire ses ruines tandis que les anciens vivent dans la nostalgie du passé.

En 1989, il reçoit le Booker Prize pour « les Vestiges du jour », adapté au cinéma avec succès par James Ivory : Anthony Hopkins y joue le rôle d’un majordome qui a choisi de se dévouer à Darlington Hall et à son maître sans jamais contester ses ordres ou sa pensée, même à l'heure où grandit le nazisme, et qui, à la fin de sa vie, alors qu’il part en voyage pour revoir celle qui aurait pu être sa femme, finit par douter d’avoir servi un « parfait gentleman ».

Mémoire et anticipation

Après « l’Inconsolé » en 1995 (une réflexion drolatique sur la mémoire et le réel alors qu’un pianiste célèbre, arrivé dans une petite ville d’Europe centrale, est tellement sollicité pour résoudre les problèmes domestiques des uns et des autres qu’il n’a plus le temps de répéter le morceau qu’il doit jouer) et « Quand nous étions orphelins » en 2000 (une histoire entre les derniers feux de l'Europe et l’émergence d’une autre Asie où un homme, dans les années 1930, décide de retourner en Chine pour résoudre le mystère de la disparition de ses parents dans la Concession du vieux Shanghai- Kazuo), Ishiguro voit un autre de ses romans, « Auprès de moi toujours » (2005), adapté à l’écran (par Mark Romanek en 2010). Ce récit d’anticipation a pour décor l’Angleterre contemporaine, où des enfants, réunis dans une école idyllique, sont élevés dans l’idée fallacieuse qu’ils sont des êtres à part et que leur bien-être est essentiel, non seulement pour eux-mêmes, mais pour la société dans laquelle ils entreront un jour.

S’il peut se lire comme une allégorie du monde moderne, son dernier roman, « le Géant enfoui » (2015) se situe au Moyen Âge dans une Angleterre livrée aux ogres et aux dragons, en proie à toutes sortes de superstitions. Un couple d’amoureux vieillissants, dont les souvenirs sont aussi brumeux que les montagnes et les vallées qui les entourent, décident de faire un voyage pour rejoindre leur fils perdu dans un territoire hostile ; ils rencontrent sur leur chemin maints obstacles, parfois étranges, parfois terrifiants : sommes-nous les otages impuissants de notre mémoire ?

Romancier mais aussi amateur de musique et de cinéma, Kasuo Ishiguro fut, paraît-il, un pianiste prodige et un adolescent féru de guitare et de rock ; il a en tout cas publié en 2009 un recueil de nouvelles, « Nocturnes : Five Stories of Music and Nightfall » et signé quatre textes pour la chanteuse de jazz américaine Stacey Kent.

« À une toute petite échelle, j'espère que certains des thèmes que j'ai essayé d'aborder dans mon travail (...), la manière dont les pays et les nations se souviennent de leur passé et dont souvent ils enterrent les souvenirs inconfortables du passé (...), seront d'une quelconque utilité dans le climat actuel » d'incertitude dans le monde, a commenté le nouvel élu.

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9608