Les vertus de la scène

Keith Jarrett et Woody Shaw en live

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Publié le 25/11/2019
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La scène est la minute de vérité pour les artistes. Pour des jazzmen comme Keith Jarrett notamment, c'est surtout une communion avec leur public (« Munich 2016 »). Tandis que Woody Shaw repousse les limites de l'improvisation (« At Onkel Po's Carnegie Hall -Vol. 1, Hamburg 1979 »).
Keith Jarrett

Keith Jarrett
Crédit photo : HENRY LEUTWYLER/ECM RECORDS

Le fameux « Köln Concert » (1975) de Keith Jarrett, enregistré en direct et en solo (sur un piano de mauvaise qualité !), reste comme une des pièces maîtresses de la carrière du pianiste, du jazz, et de la musique en général. Gageons que « Munich 2016 » (ECM/Universal) connaîtra la même notoriété.

Une première partie, composée d'une suite de douze pièces totalement improvisées, présente le pianiste à un degré d'inventivité, dans l'improvisation et la créativité, absolument sublimé. Suivent trois thèmes plus classiques de son répertoire, dont « Over The Rainbow ». Deux facettes d'un même génie qui sait créer, à travers l'improvisation en solitaire, des chefs-d'œuvre.

Son impressionnante trajectoire fait aussi l'objet d'un livre, « Keith Jarrett » (Actes Sud, 220 p., 18 €). Auteur de monographies et Académicien du Jazz, Jean-Pierre Jackson y retrace et explique le cheminement exemplaire d'un artiste prodige et exceptionnel qui a su transcender les genres et réaliser d'étonnantes synthèses. Jusqu'à devenir un des rares jazzmen universels, adulé par tous les publics. Une analyse profonde et recherchée.

Un message interrompu

Trompettiste/bugliste à la vie et au destin tragique —- il meurt en 1989 à l'âge de 44 ans après avoir eu le bras sectionné dans un accident de métro à New York —- Woody Shaw, ancien accompagnateur d'Eric Dolphy, avait été une des figures importantes du jazz moderne.

À l'apogée de sa forme et de son art, il se retrouve en quintet (Carter Jefferson, saxes, Onaje Allan Gumbs, piano, Stafford James, contrebasse, et Victor Lewis batterie) en juillet 1979 au célèbre club Onkel Pö's Carnegie Hall de Hambourg pour un concert inédit qui vient de paraître (vol 1, double CD, JazzLine /NDR Info). Cinq titres, dont deux reprises (une de John Coltrane et un standard, « All The Things You Are »), dont certains dépassent allègrement les 20 minutes, qui donnent des occasions de repousser les limites de l'improvisation et de la création collective. Et au milieu de tant de puissance, de maestria et de brio, s'élève la voix énergique, totalement maîtrisée, à la fois délicate et explosive d'un trompettiste qui se donne à fond, comme si c'était son ultime prestation.

Héritier des plus grands trompettistes, Woody Shaw fut une sorte de passeur entre deux mondes du jazz. Son message, alors au sommet de son évolution musicale, fut brusquement interrompu. Un cruel manque depuis !

Didier Pennequin

Source : Le Quotidien du médecin