TOURISME - Pagan et autres lieux vénérés

La Birmanie des sortilèges

Publié le 29/11/2012
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Crédit photo : B. BARBIER

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Crédit photo : B. BARBIER

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Crédit photo : PHOTOS BRUNO BARBIER

LES HOMMES de Pagan, fondée en 849, furent des bâtisseurs : 13 000 édifices religieux, stupas, pagodes, temples élevés dans la plaine de l’lrrawady en deux siècles. II en reste aujourd’hui un peu plus de 2 000. On peut imaginer l’émerveillement de Kubilai Khan, l’empereur mongol de la Chine, en entrant dans Pagan vaincue par une belle journée de 1287. « C’était comme aujourd’hui, en plus grand », dit le gardien du temple Ananda en tentant de recenser tous les monuments fantômes qui émergent de la brume matinale. « Le fleuve a englouti une partie de la ville, et puis, il y a eu la guerre, les guerres… et le tremblement de terre. » Le dernier séisme date du 8 juillet 1975. Difficile d’en voir les traces, au contraire des formidables fissures qui lézardent le temple de Mingoun, près de Mandalay.

Beaucoup de temples ont été restaurés, d’autres ont purement et simplement disparu. Ainsi le temple Ananda, longtemps emmailloté dans un cocon de bambou, est aujourd’hui resplendissant. Construit par Anawratha (pendant son règne, Guillaume le Conquérant envahissait l’Angleterre), il a été achevé en 1091 par son petit-fils, le roi Kyanzittha, qui fit disparaître en même temps son architecte, pour que cette œuvre reste unique. Nobody is perfect. Ce temple est le plus grand reliquaire de Pagan. En son temps, le roi n’avait pas ménagé pas ses efforts pour récupérer ici une clavicule du Bouddha, là une copie de la dent de Kandy, en Chine une statue en émeraude. Il ajouta, pour faire plaisir à chacun, une collection de 37 nats en bois. Le paradoxe est singulier : on élève avec magnificence un temple dédié à la nouvelle foi bouddhiste theravada et l’on y installe les esprits des vieilles superstitions.

Depuis, les nats peuplent les panthéons et se sont invités dans la plupart des temples bouddhistes. Même dans le très sacré Shwedagon de Rangoun, qui contiendrait huit cheveux de Bouddha, ou dans le monastère Shwenandaw de Mandalay, la dernière capitale des rois birmans, une merveille en teck sculpté et ciselé.

Apaiser les esprits.

Les nats sont des esprits vénérés en Birmanie depuis l’antiquité. Officiellement, ils sont 37, mais on note aussi d’autres divinités (les arbres, les eaux, le foyer etc.). Tous les grands nats sont des personnages qui ont existé et connu une mort violente et injuste. Comme Thihathu, cinquième souverain du royaume d’Ava, tué dans une embuscade organisée par les Shans, devint un nat sous le nom d’Aung Pinle Hsinbyush (Seigneur de l’éléphant blanc d’Aung Pinle). Au cours des nat pwè, fêtes destinées à les apaiser, les nat kadaw (médiums des nats), qui sont souvent des travestis, dansent et incarnent leur esprit durant des transes. Pendant la cérémonie, un orchestre, le saing waing, interprète des musiques assourdissantes.

Le mont Popa, un volcan situé dans la région de Mandalay, est considéré comme le refuge des

37grands nats. Les pèlerins s’y rendent pour les vénérer lors des pleines lunes de Nayon et

de Nadaw. À Taungbyon, on célèbre à la fin du mois d’août les Frères d’or, fils de Madame

Popa, injustement assassinés alors qu’ils servaient dans l’armée du roi.

La pratique des nats, comme le bouddhisme, s’accorde tant bien que mal d’un régime dominé par l’armée depuis l’indépendance obtenue des Anglais en 1947 par Aung San (le véritable héros, général à 31 ans, assassiné en pleine séance du Conseil). Sa fille, Aung San Zuu Kyi, prix Nobel de la Paix, est députée depuis avril dernier après des années passées en prison ou en résidence surveillée. Car, pour faire venir les hommes d’affaires et transformer leur pays en piège à touristes, les militaires se cachent désormais

derrière un rideau de civils à peine plus présentables. Et ils ne manquent pas d’idées. Ainsi, ils ont déboisé en une immense forêt de tecks pour déplacer la capitale à Nayyidaw, modifié à nouveau le nom du pays (République de l’Union du Myanmar) et changé le drapeau national pour la troisième fois. « Quand ils ne font pas la guerre, écrivait Céline, les militaires sont des enfants. Un rien les amuse. »

B. B.
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Source : Le Quotidien du Médecin: 9198