Immortalité, fin du monde, démonologie...

La science côté fiction

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Publié le 29/01/2018
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L-Les Oiseaux morts

L-Les Oiseaux morts

L-Le Mystère Croatoan

L-Le Mystère Croatoan

L-Smoke

L-Smoke

L-La Horde

L-La Horde

L-A Une vie sans fin

L-A Une vie sans fin

Dans son dixième roman Frédéric Beigbeder ( « 99 francs », « Un roman français », prix Renaudot 2009), nous mène aux confins de l’immortalité. Non qu’il en ait découvert le secret, mais il s’est attaché pendant trois ans à interroger les spécialistes ad hoc sur les avancées de leurs travaux sur la voie de la vie éternelle. Le résultat est « Une vie sans fin » (1), un ouvrage qu’il qualifie de « science non-fiction ». En fait un livre de vulgarisation scientifique ultra-documenté, où médecins, chercheurs, biologistes et généticiens font le point de leurs progrès et ouvrent la voie du rêve.

Mais qu’est-ce qui a conduit l’ex-dandy à s’aventurer dans les arcanes de l’immortalité ? Le temps qui passe – il est entré dans l’ère des quinquas – mais qui ne lasse pas, car, au contraire, il veut « profiter de la vie le plus longtemps possible » et en particulier de sa vie de famille. Les réparties de sa fille de 10 ans, qui l’accompagne dans son circuit hautement touristique des têtes pensantes et des établissements ultrachics (en Suisse en Autriche, à New York, en Californie, à Jérusalem, à Boston ou à Paris), étant d’ailleurs les bienvenues dans ce compte-rendu d’enquête détaillée sur les procédures les plus pointues de l’immortalisation.

Une petite fille de 10 ans est aussi l’héroïne de « la Horde » (2), de Sibylle Grimbert (« Avant les singes »). À moins que ce ne soit Ganaël, un démon qui envahit le corps de l’enfant et qui tente de lui imposer sa volonté. Car le combat n’est pas gagné ! Alors qu’il est entré en elle pour lui inculquer le goût du Mal, il apprend peu à peu à connaître la fillette et finit par l'aimer. Tandis qu’elle, en gagnant du pouvoir, devient méchante et perd de son humanité. Sans effets de style ni violence, en donnant habilement la parole à Ganaël, qui devient l’innocent de l’histoire, l’auteure s’empare du thème de la possession pour explorer la cruauté et la magie de l’enfance.

Diplômé de psychiatrie et de psychanalyse, l’Espagnol José Carlos Somoza a choisi depuis longtemps la littérature comme moyen d’expression. Le titre de son nouveau livre, « le Mystère Croatoan » (3), fait référence au mot gravé sur un poteau par les 110 colons anglais installés sur l’île de Roanoke, en Caroline du Nord, qui ont mystérieusement disparu ensemble, en 1590. Ici, une étrange épidémie mondiale met en marche des colonies d’invertébrés et d’humains à travers les villes et les forêts, unis comme un seul corps et assimilant -– ou détruisant – toute vie qui croise leur chemin. Les proches d’un scientifique mort deux ans auparavant et qui semble avoir prévu ce cataclysme vont tenter de changer le cours des événements. Au-delà du suspense et du divertissement, le roman explore des thèmes d’actualité comme l’écologie, le terrorisme et les manifestations de masse.

Exclus et mauvaises pensées

Poursuivant son œuvre protéiforme, Christian Garcin donne, avec « les Oiseaux morts de l’Amérique » (4), son onzième roman, une exploration des failles spatio-temporelles de la mémoire. On est à Las Vegas mais loin du Strip et de ses casinos rutilants, dans les tunnels d’évacuation des eaux où survit dans des conditions extrêmes toute une population d’exclus. Dont trois vétérans (Vietnam et Irak) qui trimballent leur dose de choc post-traumatique. Dans le trio se distingue le vieil Hoyt Stapleton, qui a la faculté de voyager, par la pensée, dans le temps. Dans le futur, dans des villes et des paysages désolés, à l’image de la désolation qu’il porte en lui, mais aussi dans le passé, dans l’Amérique des années 1950, lorsque d’autres partaient pour la guerre de Corée. Une dérive temporelle qui le coupe encore plus du présent. Christian Garcin rend hommage aux anciens combattants incompris et abandonnés de tous en même temps qu’il leur rend la parole et le droit de (se) raconter pour tenter d’exister.

Écrivain canadien d’origine allemande installé au Royaume-Uni, Dan Vyleta se demande, avec « Smoke » (5), à quoi ressembleraient la vie et le monde si toutes les mauvaises pensées étaient apparentes. Pour cela, il nous transporte à la fin du XIXe siècle dans une Angleterre alors coupée en deux : à la campagne, où vivent les aristocrates, tout est blanc et pur, tandis que les villes où s’entassent les classes laborieuses sont noires de suie. Cela vient de la Fumée qui est exsudée par le corps lorsqu’on se comporte mal ou si l’on éprouve une vive émotion, affirme-t-on. Deux adolescents d’un pensionnat très élitiste, qui s’étonnent qu’un camarade sadique et manipulateur ne fume jamais, mènent alors une enquête sur la nature réelle de la Fumée, à leurs risques et périls. Une ambiance à la Dickens pour une réflexion inédite sur notre époque.

 

 

 

(1) Grasset, 345 p., 22 €
(2) Anne Carrière, 216 p., 18 €
(3) Actes Sud, 411 p., 23 €
(4) Actes Sud, 220 p., 19 €
(5) Robert Laffont, 564 p., 22 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9635