On peut s'étonner qu'on prétende découvrir l'importance de l'intensité, car tout, dans le monde moderne, témoigne d'une ardente et permanente recherche de stimulations : drogues, alcool, sexe, jeux et sports, y compris ceux qui peuvent mettre notre vie en danger. Par ailleurs, nous avons toujours cherché à détecter la traduction physiologique des émotions. Et nous avons voulu mesurer le rapport mathématique entre un excitant et la sensation. Témoigne de cette préoccupation la bien oubliée loi de Weber-Fechner de la psychologie scientifique d'antan. Mais ce qui intéresse Tristan Garcia, c'est « ce mystérieux degré d'intensité de soi-en soi qui ne se laisse pas réduire à l'excitation physique ».
Des romanciers comme Stendhal ou Alberoni ont décrit le « choc amoureux », tout comme Proust a tenté d'évoquer ce visage qui apparaît soudain et témoigne d'un souvenir ancien, créant en nous « l'impression épiphanique d'un choc électrique ».
On connaît l'étonnement de l'élève devant le bâton d'ambre attirant à lui les petits papiers. On va follement s'amuser dans les salons de la belle société européenne du XVIIIe siècle avec cette découverte. On pourra même à Leipzig embrasser une belle jeune femme aux lèvres enduites d'une substance conductrice, et c'est le coup de foudre, accompagné d'un bon « café électrique » ! D'anecdotique, l'invention de l'électricité devient chez Tristan Garcia une sorte de processus explicatif. Qu'en aurait pensé Gaston Bachelard ?
Le contraire de l'homme intense, parcouru de décharges et d'excitations, c'est bien entendu le bourgeois, dont l'existence médiocre sera moquée par l'esprit avant-gardiste et enhardi. Mais il y a aussi une sorte « d'intensité vers le bas ». C'est l'ennui amer et neurasthétique de Bartleby ou Oblomov, le désert mental de Moravia ou des films d'Antonioni, la pulsion de mort installée dans l'incommunicabilité.
La norme
Hélas, l'homme moderne, bombardé de perpétuelles stimulations, sommé de jouir en permanence, va rencontrer son jumeau pervers. Tout doit être mesuré, quantifié, objet d'études statistiques. Il y a une véritable joie à marcher, mais le patient doit également compter le nombre de pas qu'il fait dans un temps donné. L'homme intense se fond dans « l'homme intensif », notre énergie n'est plus joyeuse mais évaluée, chiffrée, comparée.
Le sport illustre aujourd'hui à merveille cet homme nouveau, renouant en apparence avec l'idéal grec d'équilibre et d'harmonie, mais qui ne fait qu'accumuler et décharger des énergies maximales. L'Idéal, dit Tristan Garcia, est alors devenu Norme.
L'auteur est malin, virevoltant et cavale beaucoup sur les contreforts du bergsonisme, sans toujours le dire. Cette pseudo-exaltation de l'intensité nous met finalement en présence de « la fatigue d'être soi » et nous livre, au travers d'une matière à réflexion, une certaine dose d'amertume.
* Autrement, 200 p., 14,90 €
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