Récits de filiations

L’amour plus fort que tout

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Publié le 26/02/2018
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L-Ma très chère grande soeur

L-Ma très chère grande soeur

L-Les Loyautés

L-Les Loyautés

L-Scalp

L-Scalp

Quel beau livre que « Fugitive parce que reine » (1), premier roman de Violaine Huisman ! Elle y brosse le portrait de sa mère Catherine Cremnitz, une femme aussi admirable qu'excessive, dont l’amour maternel fut aussi passionnel que celui voué à ses différents hommes.

Dans une première partie, l'auteure pioche dans ses souvenirs un flot d’images et d’anecdotes qu’elle a partagées avec sa sœur aînée, jusqu’à ses 10 ans et ce jour où sa mère a disparu – où elle a été internée parce que diagnostiquée maniaco-dépressive. On y voit une femme imprévisible, fantasque, sans limites, tiraillée entre sa volonté d’être une bonne mère et son désir d’être une femme libre, emplie d’un amour « qui la faisait nous appeler, quand nous n’étions pas des petites connes ou des salopes ou des pétasses, mes chéries adorées que j’aime à la folie ». Un amour qui la fit vivre autant qu’elle le put. Dans une seconde partie, après l’enterrement qui la laisse comme son aînée dans la plus profonde tristesse et le désarroi, Violaine Huisman s’attache à dépasser la notion de parenté pour s’approprier la vie de sa mère, en devenir à son tour la narratrice « pour lui rendre son humanité ».

Des liens invisibles

Après « Rien ne s’oppose à la nuit », plusieurs fois primé, qui racontait les souffrances de sa mère atteinte de troubles bipolaires, et « D’après une histoire vraie », prix Renaudot et prix Goncourt des Lycéens, Delphine de Vigan fait la preuve par quatre, dans « les Loyautés » (2), de l’existence de liens invisibles qui parfois relient et enchaînent plusieurs personnes.

Hélène, professeur au collège, soupçonne Théo d’être maltraité ; bien qu’aucune trace ni confidence ne le confirment, elle se souvient des coups qu’elle-même a reçus et qu’elle faisait tout pour cacher. À 12 ans, Théo, bringuebalé d’un parent à l'autre, ne parle ni à son père détruit par le chômage, ni à sa mère toujours en colère depuis le divorce ; il n’a qu’une envie, que la tête lui tourne en buvant les alcools forts que lui procure Mathis. D’un an son aîné, Mathis est un électron libre entre une mère trop effacée et un père qui, sous un pseudonyme, s'est fait un nom sur les réseaux sociaux à force de propos racistes, homophobes et misogynes. En les regardant vivre et se débattre, Delphine de Vigan met en lumière la beauté, mais aussi la dangerosité, des loyautés entre adultes, entre enfants, d’un adulte envers l’enfant qu’il était ou d’un enfant envers ses parents.

Cyril Herry est le fondateur d'une collection de romans axés sur des espaces naturels situés en France, écrits par des auteurs français contemporains. Dans « Scalp » (3), sorte de « huis-clos à ciel ouvert », il nous amène au cœur de la forêt, celle des rêves et surtout des peurs. Les rêves et les peurs qui attendent Hans, 9 ans, lorsque, après lui avoir appris que celui qui l’avait « accompagné » depuis toujours n’est pas son père, sa mère Teresa le conduit près d’un lac en pleine forêt à la rencontre de son « vrai » père, celui qui avait préféré son engagement écologique à la vie de famille. Lorsqu’ils arrivent sur le lieu magique, la yourte est vide. L’enfant et sa mère attendent son retour dans un silence propice à un retour sur le passé, dans une nature aussi belle que pesante. Déjà l’angoisse monte, attisée par l’arrivée des hommes. Car dans la forêt, les instincts les plus archaïques remontent à la surface.

En Corée

Romancière engagée dans la défense de la démocratie et les droits des exclus de la société, très populaire en Corée, Gong Ji-Young donne, avec « Ma très chère grande sœur » (4), un récit intimiste bouleversant. Elle se souvient de Bongsun, qui n’avait que 7 ans lorsqu’elle s’est enfuie de la famille d’accueil qui l’affamait et la battait pour se réfugier chez ses parents. L'enfant fera alors presque partie de la famille, assumant les tâches d’une bonne tout en s’occupant de Jjang (surnom d’enfance de l’auteure), alors âgée de 4 ans. Bongsun lui sert de grande sœur et de mère, puisque celle-ci est trop occupée par son travail et que le père est parti aux États-Unis afin d'améliorer sa situation.

Gong Ji-Young se rappelle des moments forts et tendres partagés avec Bongsun jusqu’à ses 6 ans et son entrée à l’école. La petite bonne continuera de servir la famille, qui se montrera de moins en moins indulgente à mesure qu’elle monte dans la bourgeoisie, tandis que la petite sœur se détachera de celle qui l’a aidée à grandir et qui, en dépit de ses mésaventures à venir, restera toujours travailleuse et souriante.

 

 

 

 

 

 

 

(1) Gallimard, 246 p., 19 €
(2) JC Lattès, 206 p., 17 €
(3) Seuil, 220 p., 18 €
(4) Philippe Picquier, 195 p., 18,50 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9643