De Marlon Brando à Adolf Hitler

L'art et la manière de tomber le masque

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Publié le 30/01/2017
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L-Le Francais qui possédait l'Amérique

L-Le Francais qui possédait l'Amérique

L-Weidmann

L-Weidmann

L-Il faut se méfier des hommes nus

L-Il faut se méfier des hommes nus

L-Pamela

L-Pamela

L-La Sonate à Bridgetower

L-La Sonate à Bridgetower

L-Le sosie d'Adolf Hitler

L-Le sosie d'Adolf Hitler

Dans son deuxième roman (après « Un mot sur Irène »), Anne Akrich nous met sur les traces de Marlon Brandon, à Tahiti. Cependant, même si l'on retrouve des épisodes marquants de la vie de l'acteur sur cette terre que l'on imagine paradisiaque, « Il faut se méfier des hommes nus » (1) n'est pas une biographie. Le récit est centré sur Cheyenne, qui doit retourner sur l'île dont elle est elle-même originaire, afin d'écrire un scénario sur la vedette de cinéma. Une mauvaise idée, apparemment, car tout tourne de travers, elle se heurte aux producteurs et à l'acteur choisi pour jouer le rôle du monstre sacré autant qu'à ses souvenirs et à ses propres démons. À mi-chemin de la notice biographique et de l'intrigue à suspense, ce roman cinéphile, où Tahiti s'impose « dans le rôle du paradis perdu », déconstruit avec délectation le mythe du jardin d’Éden.

Emmanuel Dongala, qui a quitté le Congo pour les États-Unis et signé « Photo de groupe au bord du fleuve » en 2010, revient sur un point de l'histoire de la musique : le premier dédicataire de la fameuse sonate pour piano et violon n°9 de Beethoven n'a pas été Kreutzer mais George Bridgetower, un violoniste prodige qui a débarqué à Paris en 1789, à l'âge de 9 ans. En retraçant la vie de ce virtuose dans « la Sonate à Bridgetower » (2), l'auteur éclaire les paradoxes du siècle des Lumières. On voit comment l'enfant, fils d'un Nègre de la Barbade qui se fait passer pour un prince d'Abyssinie et d'une Polonaise, après avoir suivi l'enseignement de Haydn à la cour du prince Esterhazy, est poussé par son père dans les capitales d'Europe afin d'y récolter notoriété et argent. C'est à Vienne, en 1803, qu'il rencontra Beethoven. Mais Emmanuel Dongala nous fait côtoyer auparavant musiciens, savants et philosophes de l'époque. Pour revenir à la question cruciale qui n'a jamais cessé d'être d'actualité : faut-il se déguiser en Blanc pour être accepté dans les sociétés européennes ?

Un musicien encore est au centre du « Sosie d'Adolf Hitler » (3), dans lequel l'Italien Luigi Guarnieri imagine qu'un agent secret américain est chargé d'enquêter sur les véritables circonstances de la mort du dirigeant nazi. Il lui faudra pas moins de quinze ans, d'Allemagne en Autriche, d'Argentine en Italie, du Paraguay en Suisse, pour retrouver la dentiste personnelle d’Hitler, qui lui a fabriqué ses nombreuses prothèses, les responsables du Département H, spécialisé en doublures et fabrication de fausses pistes et aussi le malheureux Mario Schatten, moins connu pour sa musique que pour sa ressemblance avec le Führer. Une réflexion sur l'Histoire qui nous plonge dans les atmosphères crépusculaires des derniers jours du Reich, mêlant faits réels et péripéties imaginaires, personnages inventés et personnages historiques.

Des personnages hauts en couleurs

Avec « le Français qui possédait l'Amérique » (4), Pierre Ménard raconte une vraie vie. Vraie mais pas terre à terre, puisqu'elle dépasse toutes les fictions : celle d'Antoine Crozat, un aventurier de la finance parti de peu et qui, à force de stratégies et de coups tordus, est devenu milliardaire sous Louis XIV. Ce maître en détournements de fonds, spéculations et autres manipulations a été l'acteur français le plus important de la traite négrière et le plus grand trafiquant de marchandises et de métaux précieux. En remerciement de ses bons et loyaux services, le roi lui attribua la Louisiane, une partie de l'Amérique aussi vaste que son propre royaume. Les « exploits » de Crozat ne s'arrêtent pas là mais suffisent pour cerner le personnage.

Née Pamela Beryl Digby, mariée au fils de Winston Churchill, Randolph, puis à l'agent artistique américain Leland Hayward et enfin à l'héritier des chemins de fer Union Pacific William Harriman, « Pamela » (5) a été appelée par certains « la dernière grande courtisane » du XXe siècle, tant elle eut de sulfureuses liaisons : Ali Khan, Agnelli, Sinatra, Druon, Rubirosa, Rothschild, etc. On ne prête qu'aux riches, évidemment, mais Stéphanie des Horts, qui tente de percer le mystère de cette séductrice impénitente, morte en 1997 dans la piscine du Ritz, à Paris, où elle était ambassadrice des États-Unis, fait le portrait d'une femme qui n'obéissait qu'à ses propres lois. « Était-elle une salope ou une fleur bleue amoureuse de l'amour ? », la question reste entière.

Dans un genre beaucoup plus noir, Eugène Weidmann reste lui aussi une énigme, que rappelle Philippe Randa dans « Weidmann. Le tueur aux yeux de velours » (6). C'est ainsi qu'on avait surnommé ce séduisant jeune homme, qui, au sortir d'une adolescence faite de bagarres et de méfaits, a tué, de juillet à novembre 1937, six personnes, pour presque rien. Les raisons de ces tueries sont toujours mystérieuses mais son nom reste dans l'histoire de la justice française, car il a été, le 17 juin 1939, le dernier guillotiné en public. 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Julliard, 324 p., 19 €
(2) Actes Sud, 332 p., 22,50 €
(3) Actes Sud, 340 p., 22,80 €
(4) Le Cherche Midi, 457 p., 19,90 €
(5) Albin Michel, 282 p., 19 €
(6) French Pulp, 235 p., 18,99 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9551