La revue « Corps » a 10 ans

Le corps surveillé et puni

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Publié le 04/07/2016
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Idées-Revue Corps

Idées-Revue Corps

Dans ses travaux, Michel Foucault s'est penché sur le « bio-pouvoir », car si on s'est toujours intéressé à la structure anatomique et aux modes de fonctionnement du corps (comme Descartes, par exemple), nos corps cherchent à se faire reconnaître sur la scène sociale.

Dans leur introduction au dossier intitulé « Quel corps demain ?», Bernard Andrieu (philosophe), Gilles Boëtsch (anthropologue) et Dominique Chevé (anthropologue et philosophe) montrent comment toute société catégorise, valorise ou disqualifie certains corps. Ils « seraient toujours trop ou pas assez ! Trop mauvais goût, moches, pauvres, porn, virils, queer, handicapés, arabes, noirs, agités, limités, vieux, jeunes, migrants… »

Une idéologie réactionnaire (de gauche comme de droite, selon les auteurs) s'en prend à ceux qui veulent disposer de leur corps et de leur mort, exhibent leurs zones intimes (suivez notre regard), leurs fluides divers, et cherche « à déclasser les corps qui luttent justement contre le déclassement en s'emparant de leurs apparences et de leurs existences ».

L'éternel féminin

Partant de ces dispositifs de surveillance, de contrôle et de disqualification, on ne sera pas surpris que nombre des contributions à la revue se focalisent sur le corps féminin. Telle l'étude de Stéphanie Chapuis-Després (germaniste, histoire moderne) : « L'histoire des femmes passe par l'histoire de leur corps », dit-elle. En particulier par la lutte contre les stéréotypes concernant la maternité, la sexualité et le travail.

Stéphanie Chapuis-Després s'appuie sur la synthèse de Françoise Thébaud sur l'histoire des femmes et du genre. Les travaux de Foucault sont repris par Françoise Thébaud dans une lutte contre l'essentialisation du corps féminin, l'idée d'un « éternel féminin » artificiellement séparé des pratiques sociales qui enferment, limitent et parcellisent le « corps femelle ».

C'est bien sûr ici, à partir des années 1998, que se situent les gender studies anglo-saxonnes. Il s'agit d'insister sur le caractère relationnel et socialement construit des identités masculines et féminines. À travers les problématiques du genre, c'est la totalité des questions abordées par l'histoire des femmes qui sont reconsidérées sous un jour nouveau.

Ce travail ne perd pas de vue le social, avec notamment les risques rencontrés dans le cadre du travail. Dans un ouvrage collectif analysé ici, Catherine Omnès (historienne) et Laure Pitti (sociologue) constatent la fréquence des accidents du travail, la dégradation de la sécurité et de la couverture assurantielle, l'augmentation de l'absentéisme. On découvrira sans grande surprise que les catégories les moins qualifiées sont les plus exposées.

La sociologue Jocelyn Lachance s'accroche quant à elle aux modes des teenagers, en examinant la manière dont, au travers des réseaux sociaux, des productions de photos et de vidéos, ils cherchent à présenter leur corps aux autres.

Si le corps peut s'envoyer en l'air et connaître de langoureux vertiges, comme le montre la contribution de Luc Robène (historien et musicien) en évoquant les montgolfières et autres dirigeables, une sévère étude nous ramène sur le sol avec les cadavres, pour mieux nous persuader que l'anatomie est notre destin.

 

« Corps », revue interdisciplinaire, n° 14, « Quel corps demain ? », CNRS Éditions, 300 p., 30 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9510