Passage au monde adulte

Le temps des désillusions

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Publié le 08/04/2019
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L08/04-Abattage

L08/04-Abattage

L08/04-Elle le gibier

L08/04-Elle le gibier

L08/04-Le monde à nos pieds

L08/04-Le monde à nos pieds

L08/04-Les Imposteurs

L08/04-Les Imposteurs

L08/04-Une éducation

L08/04-Une éducation

Après avoir publié, à côté de livres pour la jeunesse et de nouvelles, une trentaine de romans dont le tiers, depuis « la Firme », ont été adaptés au cinéma, John Grisham, qui a été avocat, revient à ses amours premières : le roman judiciaire. La lecture d’un article sur « L’arnaque des écoles de droit » lui a inspiré une fiction dans laquelle les pièces du puzzle s’imbriquent à merveille.

« Les Imposteurs » (1) est l’histoire de trois jeunes gens qui s'aperçoivent que l’école de droit pour laquelle ils ont contracté de lourds emprunts ne mène à rien. Ils décident de s’attaquer au financier qui possède non seulement leur école parmi d’autres mais aussi une banque spécialisée dans les prêts étudiants. Pour l’homme d’affaires la boucle est bouclée, mais il ne s’imaginait pas que des « gamins » oseraient défier l’armée d’avocats au service de la justice et de la finance et qu’ils tenteraient même de retourner la situation à leur profit. À leurs risques et périls quand même.

L'entreprise qui brise

Plus près de nous, le huis-clos de Sciences Po s'entrouvre grâce à Claire Léost, elle-même diplômée de la fameuse école et d’HEC, aujourd’hui directrice de publication dans un groupe de presse. On avait remarqué son essai « le Rêve brisé des working girls ». Elle a choisi le roman pour nous introduire dans le cénacle à travers le parcours de trois garçons et trois filles issus de milieux différents. Six personnalités à peine esquissées le jour de leur rentrée en septembre 1994, et qui vont se déployer avec toutes leurs contradictions jusqu’au jour de l’élection d’Emmanuel Macron. « Le Monde à nos pieds » (2) est fait de tranches de vie, avec les tourments de l’amour et de l’amitié et aussi, beaucoup, les questions de l’engagement politique. Ces jeunes censés former l’élite du pays, qui arrivent plein d’ambitions, se heurtent à un système ultra-compétitif où l’on doit abandonner tout idéal romantique et apprennent que toute réussite a un prix.

Dans la lignée de ses romans ancrés dans les questions sociales de notre époque (« Assassins d’avant »), Élisa Vix revient sur le drame d’une jeune femme nommée Chrystal. Elle était belle, titulaire d’un master en neurosciences mais, comme d’autres étudiants surdiplômés, elle ne trouvait pas de travail jusqu’à être enfin embauchée, en dessous de ses compétences, dans une entreprise leader international de l’information médicale. « Elle le gibier » (3) est un récit à plusieurs voix dans lequel les proches de Chrystal et surtout ses collègues délivrent une part de vérité sur ce qui s’est passé. Le harcèlement, la pression permanente et inutile, les procédures ineptes qui font perdre du temps et de l’intelligence…

À seulement 33 ans, Anne Akrich signe son quatrième livre, « Un monde nouveau » (4). Un roman choral qui met en scène treize employés d’une start-up au cours d’entretiens organisés par la « happiness manager » (ex-DRH, garante du bien-être des salariés) pour savoir comment ces « collaborateurs » envisagent leur place dans cette entreprise à la pointe de la nouvelle économie collaborative. Il en résulte treize mini-fictions où l’on s’aperçoit qu’ils sont tous malheureux, solitaires, envahis par une technologie qui les dépasse, sans repères. Des histoires à mi-chemin entre la satire de la culture d’entreprise et la mise en garde contre les dérives de notre époque 2.0.

Les combats des filles

D’un tout autre ton, « Une éducation » (5) est le témoignage exemplaire d’une jeune femme qui a échappé à son destin. Tara Westover est née dans un coin reculé de l’Idaho en 1986, elle a grandi avec ses six frères et sœurs sous le joug d’un père fondamentaliste mormon, qui croyait en la fin du monde mais pas en la médecine ou en l’enseignement dispensé par le gouvernement. Étouffée par un père paranoïaque, une mère soumise et un frère aîné tyrannique, Tara a décidé, à 16 ans, de s’éduquer toute seule puis de quitter ses montagnes natales et de traverser l’océan jusqu’à Harvard et Cambridge, où elle a soutenu sa thèse de doctorat en histoire en 2014. L’éducation, qui lui a permis de poser un regard neuf sur le monde, l'a fait entrer dans l'âge adulte. Le tribut à payer est lourd – la rupture avec ses origines – mais à aucun moment elle ne juge ni n'accuse ses parents.

Sammy et Nico sont deux adolescentes de 15 et bientôt 13 ans. L’une vit à Dublin, l’autre dans la campagne moldave. Sammy, pour fuir sa mère alcoolique, finit par fuguer. Nico est vendue par son père à un soi-disant mari, en fait un trafiquant sexuel. Elles finiront par se rencontrer dans une maison anonyme d’un quartier chic des environs de Dublin où sont enfermées le jour d’autres jeunes filles comme elles, que l’on force à se prostituer la nuit. « Abattage » (6) est un roman cru et cruel écrit par la dramaturge irlandaise Lisa Harding, qui milite contre les violences faites aux femmes et aux enfants. « Une tentative de rendre hommage à ces filles invisibles, et de faire prendre conscience de l’ampleur de ce trafic caché et florissant. »

(1) JC Lattès, 428 p., 23 €

(2) JC Lattès, 377p., 19,90 €

(3) Rouergue, 144 p., 16,50 €

(4) Julliard, 161 p., 18 €

(5) JC Lattès, 471 p., 22 €

(6) Joëlle Losfeld, 366 p., 22,50 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9739