Davide Enia, Khaled Hosseini, Metin Arditi, Yasmina Khadra, Will Eisner

Le temps des tragédies

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Publié le 10/09/2018
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L3- Carnaval noir

L3- Carnaval noir

L2- Une prière à la mer

L2- Une prière à la mer

L4- Khalil

L4- Khalil

L1- La Loi de la mer

L1- La Loi de la mer

À 210 km de la côte sicilienne et à seulement 152 km de la côte africaine, Lampedusa est une destination prisée des amateurs de soleil, de plongée et de nature. C’est aussi là qu’échoue la cohorte des réfugiés survivants de la traversée de la Méditerranée. Dramaturge célèbre en Italie, prix du Premier Roman étranger 2016 pour « Sur cette terre comme au ciel », qui évoque sa Sicile natale, Davide Enia est revenu sur l'île où il avait passé de joyeuses vacances enfantines. Pour interroger les témoins de cette tragédie sans cesse recommencée : les migrants, mais aussi les secouristes, les habitants et les pêcheurs, qui, avec leurs pauvres moyens, appliquent « la Loi de la mer » (1), voulant que l’on aide celui qui a besoin d’être secouru, quel qu'il soit. Leurs mots sont terribles – trop d’atrocités rapportées et de cadavres déchiquetés – et leurs pleurs dissimulés encore plus douloureux.

Résultat de plus de trois années d’échanges, le récit n’est ni documentaire ni polémique mais simplement humain, d’autant plus qu’un drame personnel, la fin de vie d’un oncle que l'auteur adore, se déroule en même temps. Seul réconfort : la présence à ses côtés de son père, un ancien médecin taciturne mais aimant, qui est devenu aussi un témoin en troquant son stéthoscope contre un appareil photo.

En librairie en France le 13 septembre, « Une prière à la mer » (2) bénéficiera d’un lancement mondial tout au long du mois. Illustré par l’artiste londonien Dan Williams, ce petit album est signé Khaled Hosseini. L’auteur des « Cerfs-volants de Kaboul » a voulu rendre hommage, en même temps qu’à Aylan Kurdi, l’enfant syrien de 3 ans noyé alors qu’il tentait de rejoindre la Grèce, dont la photo a fait le tour du monde en 2015, aux milliers de réfugiés qui prennent la mer pour fuir la guerre et les persécutions. En attendant l’aube et l’arrivée d’un bateau, un père syrien parle à son fils de la ville de Homs, animée et paisible, telle qu’elle était avant la guerre, et il demande protection pour la dangereuse traversée qu’ils vont entreprendre.

Avec « Carnaval noir » (3), Metin Arditi revient avec bonheur au thriller historique, (« le Turquetto », « la Confrérie des moines volants »). Le roman dénonce le fanatisme, qui se répète à travers le temps. En 2016, l’assassinat d’une étudiante est le premier de plusieurs crimes. Elle consacrait une thèse à une confrérie de savants en rapport avec les thèses de Copernic, dont plusieurs membres avaient trouvé la mort durant le carnaval de Venise en 1575. La découverte, par un professeur de latin médiéval à l’université de Genève, d’une lettre vieille de cinq siècles à propos des hérétiques le met sur la piste d'une machination associant des mercenaires de Daech et un groupuscule d’extrême-droite de la Curie romaine qui visent le pape François, jugé trop bienveillant à l’égard des migrants. De l’art et la manière de conjuguer érudition et action.

Aider à comprendre

Un terroriste vous parle : il s’appelle « Khalil » (4), il a 25 ans, il est d’origine marocaine et vit en Belgique entre un père alcoolique, une mère asservie, une sœur aînée dépressive et sa jumelle qu’il adore. Il a deux amis proches, Driss, qui partage les mêmes minables conditions de vie, et Rayan, qui s’est intégré en faisant des études. Lorsque s’ouvre le livre, Khalil et Driss font partie des quatre kamikazes envoyés au Stade de France le 13 novembre 2015 pour transformer la fête en « deuil planétaire » ; le détonateur de la ceinture d’explosifs que porte Kahlil n’a pas fonctionné, tandis que Driss n’a fait qu’une victime, lui-même. De retour en Belgique, alors qu’il tente désespérément de joindre imam, cheikh et émir du réseau intégriste Solidarité fraternelle, Khalil apprend que sa sœur jumelle est l’une des victimes de l’attentat du métro de Bruxelles…

Il fallait bien son passé d’officier de l’armée algérienne qui a combattu les divers groupes islamistes dans les années 1990 et sa stature d’écrivain international (« les Hirondelles de Kaboul », « l’Attentat », « Ce que le jour doit à la nuit »…) pour autoriser Yasmina Khadra (de son vrai nom Mohammed Moullessehoul) à se mettre dans la peau et dans la tête d’un terroriste. Non pour le juger, mais pour nous aider à comprendre pourquoi et comment un jeune peut se laisser prendre au discours des intégristes et, pour se venger (de sa famille ? de la société ? de lui-même ?) se perdre dans la haine et la violence.

C’est également dans un souci didactique, afin de diffuser la vérité auprès d’un large public, que le pionnier de la bande dessinée Will Eisner,le créateur du personnage de privé Le Spirit, a réalisé « le Complot. L’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion » (5). Publié l’année de sa mort en 2005, ce roman graphique est toujours d’actualité puisque, depuis plus de cent ans, l’histoire de ce faux « complot juif » inventé de toutes pièces – la supercherie a été dénoncée en 1921 – pour attiser l’antisémitisme en Europe, continue d’être utilisé par les activistes d’extrême-droite. Cette édition est préfacée par Umberto Eco. 

(1) Albin Michel, 225 p., 18 €

(2) Albin Michel, 48 p., 12 €

(3) Grasset, 399 p., 22 €

(4) Julliard, 261 p., 19 €

(5) Grasset, 144 p., 20,90 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9684