Souffrir sans être doloriste

Les contes de la maladie

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Publié le 27/02/2017
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« Adénocarcinome canalaire pancréatique », tel est le terme précis qui cache « le mot qui répand la terreur » et va faire habiter l'auteur à « Tumeurville », selon son propre humour.

Passe encore d'être gravement malade et à terme condamné à mort – c'est notre lot à tous, rappelle Woody Allen. Il faut en plus supporter l'idéologie doloriste relative aux bienfaits cachés de la maladie et de la souffrance. Le dolorisme conduit les plus faibles à accepter leur sort comme étant le mieux qu'ils peuvent espérer. Il a en partie sa source dans la religion chrétienne, pour laquelle la souffrance est forcément rédemptrice.

Cette complainte se décline à l'infini. « À quelque chose malheur est bon », « Mieux vaut souffrir que mourir » – comme si les deux s'excluaient. Et surtout l'aphorisme nietzschéen, repris par… Johnny Hallyday et tous les magazines de développement personnel, dont le pauvre philosophe du surhomme n'a guère profité : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

Cette idéologie a ses surgeons variés, montre Ruwen Ogien. Comme la psychologie positive, elle-même créatrice d'une résilience. Il s'agit de montrer que la douleur est féconde. C'est en cherchant à surmonter un drame, un malheur initial, deuil, persécution, handicap physique, qu'on arrive à la réussite. Ces idées étant bien résumées par le titre de l'ouvrage de Boris Cyrulnik, « Un merveilleux malheur » (Odile Jacob, 1999).

Un surplus de vie

Ruwen Ogien est un penseur et un littéraire, et des pages assez intrigantes sont consacrées aux liens entre la littérature et la maladie. Il existe beaucoup de romans consacrés aux émois psychiques, très peu s'ancrent dans le corps et ses prosaïques dysfonctionnements – à quand la saga du rhume des foins ? À l'exception de Fritz Zorn, dans « Mars » (Gallimard, 1979), qui « réécrit son cancer », on voit poindre encore le dolorisme, sous la forme de la maladie-défi à surmonter.

Au fait, pourquoi ces « Mille et Une Nuits » ? On se souvient que Shéhérazade gagnait du temps sur l'issue fatale en racontant chaque soir une nouvelle histoire au sultan. Les contes d'Ogien, au fil de ce journal de maladie, se nomment chimio, scanner, marqueur tumoral… Paradoxalement, ils ne sont jamais tristes. La culture et l’humour de leur auteur leur donnent un surplus de vie.

* Albin Michel, 256 p., 19 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9559