« Le Génie de la bêtise »  de David Grozdanovitch

Les excès de l'intelligence

Par
Publié le 16/01/2017
Article réservé aux abonnés
Idées-Les excès de l'intelligence

Idées-Les excès de l'intelligence

C'est Valentin qui inaugure la galerie où s'alignent imbéciles, demeurés, arriérés, idiots, terme qui en grec lève un masque, car il signifie particulier.

Valentin est un lointain cousin d'une grand-mère de l'auteur. Particulier, il l'est par sa très grosse tête, son physique de jeune garçon à l'âge adulte. Il emmène Denis à la pêche, il n'a pas son pareil pour attraper les poissons avec les mains. Sa connaissance tout intuitive de la nature lui fait découvrir les cachettes des biches et des chevreuils. Il n'a aucun savoir particulier mais repère dans le ciel certaines constellations. Précurseur sans le savoir d'une sensibilité moderne, Valentin refusera de participer aux élevages industriels. Avec beaucoup d'émotion, Denis Grozdanovitch décrit sur son lit de mort ce petit corps grotesque, ce « petit maître en sainte idiotie », ce « cœur simple ».

L'idiot de la famille

Difficile après une telle expression de ne pas évoquer Flaubert, lui qui fut traité d'« idiot de la famille » par son père, expression on le sait reprise ironiquement par Sartre dans le livre éponyme. « J'appelle bourgeois tous ceux qui pensent bassement », disait Flaubert, dont les personnages cherchent surtout à se parer des atours de la connaissance, tels les deux compères Bouvard et Pécuchet, ou en étant celui qui a depuis longtemps tout compris, comme le pharmacien Homais (oh ! mais). On refusera en revanche de déclarer stupide Madame Bovary, car Denis Grozdanovitch lui-même confesse que « nul d'entre nous n'est en mesure de supporter le contact d'une trop exacte et rugueuse réalité ».

Le côté attachant de l'ouvrage est sa volonté de nous emmener du côté des frappadingues de la fausse logique, du nonsense à l'anglaise et de l'humour talmudiste. Incontestablement, Groucho Marx, Pierre Dac et l'Oulipo sont ses compagnons, de même que le moins connu Van Boxsel, auteur de « l'Encyclopédie de la stupidité » (Payot, 2010).

L'ennui, c'est qu'à trop vouloir critiquer les sorbonnards et les cuistres, on frôle dangereusement une démagogie elle aussi assez à la mode. Ou, comme disait l'autre, « Vous n'aimez pas le savoir, essayez l'ignorance ! »

Grasset, 320 p., 20 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9547