Au début de son ouvrage, Gilles Kepel revient sur les principaux bouleversements qui se sont produits dans l'islam de France et s'accroche d'emblée à l'année 2005, une « année charnière ». C'est l'année des émeutes, incendies, pillage, déprédations, heurts violents avec les forces de l'ordre. L'important, c'est le double déclencheur. Le premier est le décès par électrocution, le 27 octobre, de deux adolescents, réfugiés dans un transformateur pour éviter une interpellation par la police. Le second est le jet d'une grenade par la police à l'entrée d'une mosquée, un soir où l'édifice est bondé.
Le récit de ces deux événements, qui valorise nettement le deuxième et sa symbolique, va créer une formidable agitation dans les jours qui suivent, entraîner des millions de dégâts et mettre en avant le rôle du ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, « as Clint Eastwood ».
Attentif à recueillir le sens de tous les mouvements sociaux, Gilles Kepel met en évidence l'inscription sur les listes électorales de plus de 400 candidats issus de l'émigration et d'ascendance musulmane, incarnant fièrement eux aussi la souveraineté du peuple. Mais parallèlement émerge la troisième* génération de l'Islam de France. Ils sont français, en quête d'un idéal, nourris dès leur plus jeune âge de cyberculture. L'année 2005 voit la mise en ligne d'un « Appel à la résistance islamique mondiale » qui identifie chez ces jeunes mal intégrés le bras armé d'une lutte contre l'Occident et, bien sûr, contre Israël. À l'origine de cet appel, le prophète de la destruction de l'Occident Abu Musab Al-Suri, quadragénaire djihadiste syrien naturalisé espagnol.
Trajectoires
On a envie de couper à travers champs et de dire que la suite est connue. Gilles Kepel l'exprime dans ce raccourci : « Sept années seulement séparent les émeutes de la tuerie perpétrée par Mérah. » L'auteur suit alors avec une remarquable minutie les trajectoires et infinies ramifications de tous ceux que « l'Appel » d'Al-Suri a touchés et qui passeront de la petite délinquance à l'engagement dans le Djihad. On s'y perd un peu ; heureusement, il y a des lieux qui topographient ces trajectoires.
Ainsi fait-on la connaissance de Farid Benyettou, qui enseigne le salafisme à la « Mosquée Stalingrad », chef des opposants à la loi sur le voile. On rencontre le très dangereux Algérien Djamel Beghal, issu de la deuxième génération, incarcéré à Fleury-Mérogis ; c'est dans cet incubateur qu'il se lie avec Chérif Kouachi et Amedy Koulibaly, les futurs tueurs des attentats de janvier 2015, issus du « gang des Buttes-Chaumont », autre topos mythique…
Gilles Kepel ne se contente pas de décrire de l'extérieur, il pointe les failles du renseignement, l'indifférence à ce qui se trame dans les prisons et à l'exacerbation des cités. Pour ceux qui préfèrent les frissons du fantasme, conseillons « Soumission », de Michel Houellebecq.
Avec la collaboration d'Antoine Jardin, Gallimard, 352 p., 21 €.
* La deuxième étant symbolisée par Al-Qaïda, Ben Laden et l'image spectaculaire du 11 septembre 2001. Image contre-productive, elle témoigne du fait que l'on n'a pas mis à genoux les États-Unis.
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