L’enfant au cœur du roman

Les héros sont tristes

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Publié le 18/03/2019
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L1803-Mon père

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L1803-Gare à Lou

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L1803-Félix

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L1803-Bazungu

L1803-Bazungu

L1803-Raisons obscures

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L1803-Le nouveau

L1803-Le nouveau

Traduit en 45 langues et joué dans plus de 50 pays, l'écrivain et dramaturge Eric-Emmanuel Schmitt n’en délaisse pas pour autant ses petits contes philosophiques et publie le 8e volet du « Cycle de l’invisible », dans lequel il porte un regard humaniste sur les spiritualités. Après avoir évoqué le bouddhisme tibétain (« Milarepa »), l’Islam (« Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran »), le christianisme (« Oscar et la dame rose »), le judaïsme (« L'enfant de Noé »), le bouddhisme zen (« le Sumo qui ne pouvait pas grossir »), le confucianisme (« les Dix enfants que Madame Ming n'a jamais eus ») et la musique (« Madame Pylinska et le secret de Chopin »), « Félix et la source invisible » (1) donne à ressentir l’animisme. À travers les pérégrinations d’un garçon de 12 ans qui, pour sauver sa mère d’une dépression, l’emmène jusqu’en Afrique aux sources invisibles du monde.

Autre auteur à succès, dont la plupart des 18 romans ont été primés ou adaptés au cinéma, Jean Teulé revient, avec « Gare à Lou ! » (2), à la veine fantastique qui avait fait le succès du « Magasin des suicides ». L'héroïne en est une gamine de 12 ans capable de faire tomber immédiatement les pires calamités sur la tête de ceux qui la contrarient. Ce don exceptionnel n’a pas échappé aux responsables de la nation qui entendent bien le détourner à leur profit. Ce qui n’amuse pas Lou, d’autant que son superpouvoir ne fonctionne pas toujours comme prévu !

Racisme et massacres

Auteure spécialisée dans le roman historique (« la Jeune Fille à la perle »), l’Américaine Tracy Chevalier a choisi de revisiter l’« Othello » de Shakespeare en le situant dans une cour d’école dans les années 1970 à Washington. Osei, le fils de 11 ans d’un diplomate ghanéen, est « le Nouveau » (3), le seul garçon noir de sa classe ; il s’attire les faveurs de Dee, la fille la plus populaire de l’école, au grand dam d’Ian. En résulte une tragédie en cinq actes, rythmée par les temps de récréation d'une journée, où les enfants reproduisent le racisme ordinaire des parents d’une banlieue américaine sous Nixon.

Dans son premier roman « Bazungu » (4), Cécile Desmoulins, qui a travaillé durant 10 ans pour différentes ONG puis pour l‘Unicef, revient sur la tragédie de 1996, lorsque, à la frontière du Zaïre et du Rwanda, des milliers de réfugiés ont tenté de fuir les massacres entre Tutsis et Hutus. Parmi eux, un petit garçon qui veut rejoindre son village et sa mère, et une jeune humanitaire chargée de porter secours aux enfants perdus. Le récit les fera se rencontrer et leurs voix s’unir pour dire un monde qui se délite. Un document-vérité qui témoigne de l’extrême difficulté à maintenir une forme d’humanité au milieu d’un tel chaos.

Le mal ignoré

Avec son sixième roman « Raisons obscures » (5), qui a pour thème le harcèlement scolaire à travers le prisme de deux familles, Amélie Antoine creuse son sillon dans le thriller psychologique. Elle nous présente deux familles ordinaires et similaires, avec certes quelques non-dits et petits secrets (chez l’une, la mère a retrouvé son premier amour, chez l’autre le père est mis à l’écart de son entreprise). Les parents, pourtant aimants, ne voient pas que les enfants se taisent, pour ne pas déranger, pas trahir, pas se montrer faibles. La question traitée ici est de savoir comment il est possible, pour des parents de bonne volonté, de passer complètement à côté de la souffrance de son enfant.

Paru, par les hasards du calendrier, le jour où « Grâce à Dieu », de François Ozon, est sorti sur les écrans, « Mon Père » (6) est un face-à-face oppressant entre un père et le prêtre qui a violé son fils. Pour Grégoire Delacourt (« la Liste de mes envies »), qui fait référence à Abraham, cette éternelle histoire du père et du fils est celle du bien et du mal. Au terme de trois jours de confrontation où le père s’oblige à tout entendre, où il s’interroge sur sa propre éducation et où il remonte le temps d’avant, lorsque le couple se délite, laissant l’enfant à sa solitude, se posent les questions de la vengeance, de l’application d’une justice peu encline à jouer son rôle, du silence coupable d’une institution et encore d’un pardon qui pourrait réparer la victime.

(1) Albin Michel, 227 p., 17 €

(2) Julliard, 182 p., 19 €

(3) Phébus, 219 p., 19 €

(4) Robert Laffont, 423 p., 21 €

(5) XO, 378 p., 19,90 €

(6) JC Lattès, 216 p., 18 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9733