Le festival de Cannes

Les musiques du souvenir

Par
Publié le 14/05/2018
Article réservé aux abonnés
Ciné-Yomeddine

Ciné-Yomeddine
Crédit photo : LE PACTE

Ciné-Plaire

Ciné-Plaire
Crédit photo : JEAN-LOUIS FERNANDEZ

Ciné-L'été

Ciné-L'été
Crédit photo : DR

Ciné-Cold War

Ciné-Cold War
Crédit photo : DIAPHANA

« Plaire, aimer et courir vite » (sorti le 10 mai) : la consolation

Après deux adaptations littéraires (« les Métamorphoses », « les Malheurs de Sophie »), Christophe Honoré a eu envie de revenir au « réalisme du récit personnel », de faire revivre l'étudiant qu'il était dans les années 1990. Les années sida. Avec, dit-il, « une volonté de consolation ».

La consolation, c'est l'histoire d'amour entre l'étudiant provincial (Vincent Lacoste) qui découvre ses vrais désirs et l'écrivain parisien (Pierre Deladonchamps) qui voit mourir ses amis et doit lui-même se soigner. C'est la reconstitution d'une époque par petites touches visuelles (affiches de films, livres…) et larges touches musicales (de Massive Attack à Haendel en passant par Prefab Sprout MARSS ou Anne Sylvestre). Sans oublier les citations littéraires, dont regorgent des dialogues souvent brillants.

La mise en scène a du style et les acteurs du répondant, mais les regrets et les manques de ces années pour lui « non-révolues » pèsent sur un film qui dure plus de deux heures. Loin de l'énergie positive de « 120 battements par minute », si applaudi l'année dernière.

« Everybody Knows » (sorti le 9 mai) : l'heure espagnole

« Everybody Knows » a tout, ou presque, pour plaire. Un réalisateur justement estimé, l'Iranien Asghar Farhadi, qui tourne pour la deuxième fois hors de son pays. Un couple (à l'écran et dans la vie) de stars, Penélope Cruz et Javier Bardem (plus l'excellent acteur argentin, malheureusement sous-utilisé). Un décor coloré, un village viticole de Castille. Une intrigue à secrets et rebondissements.

Dans ses deux premiers tiers, le film est effectivement séduisant, avec la mise en scène enlevée de retrouvailles familiales et d'une fête de mariage à la joie communicative. Dommage que cela se gâte à la fin, le scénario de Farhadi avançant alors à pas très lourds.

« L'Été » (5 décembre) : la création contestataire

En dehors des qualités intrinsèques du film, le festival de Cannes, en le sélectionnant, espérait peser sur le destin de son réalisateur, metteur en scène de théâtre de renom, Kirill Serebrennikov. Poursuivi pour détournement de subventions, il est assigné à résidence en attendant un procès qui pourrait se dérouler en octobre. Selon la pétition de soutien lancée en France sur change.org, il s'agirait en fait d'un de ces procès politiques visant à museler les artistes –  et à travers Serebrennikov, « l’un des lieux les plus créatifs et contestataires de Moscou », le Gogol Center.

« L'Été » évoque aussi une création contestataire, celle de deux musiciens qui ont changé le cours du rock en Union soviétique dans les années 1980, Viktor Tsoï (l'acteur coréen Teo Yoo), leader du groupe Kino, et Mike Naumenko (le chanteur Roman Bilyk). de Zoopark.

Sans se préoccuper des repères biographiques, le film saisit des moments de vie et de création, avec pour fil conducteur une sorte de trio amoureux à la « Jules et Jim ». Les images, dans un noir et blanc lumineux, avec parfois des séquences flash en couleur ou des éléments graphiques, sont elles-mêmes des créations. Avec la musique, elles suscitent une énergie communicative.

« Cold War » (31 octobre) : amours impossibles

Après « Ida », sur la Pologne des années 1960 et son passé nazi, Pawel Pawlikowski se penche cette fois sur les années 1950, celles de la guerre froide, celles de ses parents, auxquels le film est dédié. Le résumé officiel, « un amour impossible dans une époque impossible », dit tout et ne dit rien. Dit tout : la chanteuse passionnée et ambitieuse (superbe Joanna Kulig) et le musicien épris de liberté (Tomasz Kot) vont s'aimer, se séparer, se retrouver, de Varsovie à Berlin, Split et Paris, alors que la frontière entre l'Est et l'Ouest est quasiment infranchissable. Ne dit rien : des aspirations différentes de l'une et de l'autre et surtout de la façon dont le réalisateur va les personnifier à travers la musique, le magnifique folklore slave et le jazz.

Avec le très beau noir et blanc photographique et le format quasi carré déjà utilisés pour « Ida », Pawlikowski signe une prenante histoire d'amour, dont les mélodies nous poursuivront.

« Yomeddine » : humain, très humain

Yomeddine est le mot arabe pour désigner le jour du jugement dernier, celui où chacun sera jugé pour ses actes, non son apparence. C'est la leçon un peu naïve mais sûrement pas vaine de ce premier film (le seul de la compétition) d'un réalisateur égyptien de 33 ans, A. B. Shawky.

Car son héros n'est souvent aux yeux des autres que son apparence : celle d'un lépreux au visage et aux membres déformés par la maladie (joué par un non-professionnel, Rady Gamal qui, comme son personnage, a été laissé par ses parents à la léproserie lorsqu'il était petit) ; il est guéri mais il fait peur.

Dans le film, Beshay, qui survit en fouillant les ordures, quitte la léproserie pour chercher ses parents et traverse en charrette une partie de l'Égypte rurale, en compagnie d'un autre exclu (dans une moindre mesure), un orphelin nubien. Leurs mésaventures nous sont contées, sans doute pas avec le plus grand style, mais avec un humanisme à partager.

Renée Carton

Source : Le Quotidien du médecin: 9664