Dicker, Minier, Musso, Thilliez

Les poids lourds en vitrine

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Publié le 09/06/2020
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En difficulté après l’arrêt imposé par la crise sanitaire, l’édition et la librairie ont remanié leurs programmes et exposent peu de nouveaux titres, mais signés de valeurs sûres. Joël Dicker, Bernard Minier, Guillaume Musso et Franck Thilliez comptent parmi les super poids lourds de l’été.

* La notoriété est un mot qui colle à la peau de Guillaume Musso qui, depuis la parution de « Et après… » en 2004 et fort de plus d’une quinzaine de best-sellers, a logiquement été l’auteur le plus demandé durant les huit semaines de confinement, avec « la Vie secrète des écrivains », paru au Livre de Poche en mars. Sa production estivale annuelle, « la Vie est un roman » (1), s’inscrit dans la continuité de ce précédent titre, puisque, sous le couvert d’une intrigue à suspense, il s’interroge sur le pouvoir de l’imaginaire et explore les affres de la création romanesque.

Le récit nous mène de part et d’autre de l’Atlantique : à New York, avec une romancière célèbre, bien qu’elle n’ait publié que trois livres, et à Paris, avec un auteur qui enchaîne les best-sellers. L'une cache son désespoir après la disparition inexplicable et inexpliquée de sa fille de 3 ans un jour où elles jouaient ensemble à cache-cache dans leur grand appartement de Brooklyn. L'autre se terre dans sa maison délabrée depuis qu’une décision de justice lui a enlevé son petit garçon. Lui seul détient la clé du mystère de la disparition de la petite Carrie ; elle va le débusquer.

Expert en l’art de capter, ou détourner l’attention des lecteurs, Guillaume Musso multiplie les jeux de miroirs et les revirements de situation en même temps qu’il rend hommage à ses maîtres en écriture.

* La concurrence est rude, puisque le personnage principal du nouveau Joël Dicker, « l'Énigme de la chambre 622 » (2), est également un écrivain ! Qui plus est de nationalité suisse – comme l’auteur –, venu se ressourcer au Palace de Verbier après le décès de son éditeur, nommément cité, Bernard de Fallois (l’hommage envers celui qui l’a découvert et qui est décédé récemment est appuyé).

Primé pour « la Vérité sur l’Affaire Harry Quebert » et reconnu pour l’architecture sophistiquée de ses romans, Joël Dicker entrelace la vérité et la fiction dans un roman à tiroirs sur fond de triangle amoureux, jeux de pouvoir, jalousies et trahisons, qui de plus déroute avec des allers-retours temporels incessants.

S’étant étonné qu’il n’existe pas de chambre 622 dans l’hôtel, l'Écrivain apprend, aidé par sa charmante voisine, qu’un meurtre y a été commis bien des années auparavant, qui n’a jamais été élucidé. L’enquête commence, qui nous plonge dans le milieu de la finance. À charge pour le lecteur de discerner les indices propres à résoudre l’énigme sans se perdre en chemin.

Noirceur

* Considéré comme un maître du thriller français (« la Chambre des morts », « Pandemia », autour d’une épidémie de grippe d’origine inconnue qui frappe la France), Franck Thilliez propose, avec « Il était deux fois » (3), un roman d’une rare noirceur. En Savoie, un lieutenant de gendarmerie suit les traces de sa fille de 17 ans qui a disparu. Une halte le conduit à l’hôtel de la Falaise, où il s’installe dans la chambre 29, au deuxième étage, jusqu’à ce qu’une pluie d’oiseaux morts frappant sur les vitres le réveille. Il s’aperçoit alors qu’il occupe la chambre numéro 7 au rez-de-chaussée, et découvre qu’on n’est pas en 2008 comme il le croyait, mais en 2020 : sa fille a disparu depuis plus de douze ans. Que s’est-il passé durant ces douze années, qu’en est-il de son couple, de ses amis, des résultats pour retrouver son enfant ? Pourquoi son ancien coéquipier a-t-il poursuivi ses recherches ? Et qu’en est-il des indices dispersés depuis des mois sous forme d’énigmes policières, et par qui ?

De ce village savoyard et son ancienne usine hydroélectrique à un chalet isolé en Pologne en passant par un entrepôt désaffecté en Belgique, l’angoisse est partout. Cependant, pour en goûter vraiment les nuances, il est conseillé, avant d’ouvrir « Il était deux fois », de lire ou relire le précédent roman de l’auteur, « le Manuscrit inachevé ».

* Le huitième roman de Bernard Minier est la sixième enquête de Martin Servaz, le flic un peu cabossé par la vie et un brin misanthrope apparu dans « Glacé » (2011). « La Vallée » (4) peut se lire tout à fait indépendamment, même si les aficionados apprécieront les petits rappels de ses précédents ouvrages semés au fil des pages. Comme dans cette histoire notre héros n’est plus seul, on le retrouve tout ragaillardi et prêt à affronter un terrible assassin qui sévit dans une petite ville au cœur des Pyrénées, coupée du monde après qu’un pan de montagne a dégringolé sur l’unique route d’accès.

C’est ainsi qu’après « notre » confinement, on retombe dans un huis-clos mais dramatique, où la peur du meurtrier se double des déchirements d’une communauté où la confiance est brisée. La vallée et la petite ville sont, pour l’auteur, à l’image de la société et de l’époque actuelles. Une forêt mystérieuse plus une abbaye pleine de secrets et une population terrifiée qui veut se faire justice plus un corbeau qui accuse, cela donne un cocktail particulièrement amer !

(1) Calmann-Lévy, 300 p., 21,90 €

(2) Éditions de Fallois, 576 p., 23 €

(3) Fleuve, 495 p., 22,90 €

(4) XO Éditions, 522 p., 21,90 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin