Bible et influx nerveux

Les voies de la transmission

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Publié le 13/06/2016
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Idées-Henry Korn

Idées-Henry Korn

« Heureux comme Dieu en France », se répétaient les immigrants ashkénazes dans cette douce nouvelle patrie. Mais l'enfant issu de juifs polonais découvre vite les affiches hurlant la haine et les premières rafles, la nécessité d'aller se cacher à Bièvres dans la « ferme à cochons », et si sa famille survit, ce même enfant capte les chuchotements sur ceux qui, autour d'eux, disparurent dans la nuit et le brouillard.

Il y a cependant ce commissaire communiste qui leur avoue qu'il avait écrit leur nom au crayon seulement… Il y a ce mystérieux officier allemand venu en civil dire à ses parents : « Faites attention, ce qui arrive est terrible. »

De cette période, Henri Korn confesse qu'il a gardé le double sentiment « d'une insécurité qui ne m'a jamais quitté (...) et de la morgue des élites bourgeoises, des établis dans leur tête et dans leur situation ».

Au sortir d'une adolescence marquée par la guerre d'Algérie et une adhésion au communisme, il choisit la médecine, « afin de me rendre utile à la société », en particulier aussi parce que « les capacités du cerveau, autant que ses maladies, parfois entrevues, me fascinaient ». Et le voici qui s'abîme dans les interconnexions neuronales, les signaux synaptiques, l'observation par la microscopie électronique. Ceci le mènera à une terre pas nécessairement promise, à peine envisagée, la consécration sous la coupole de l'Institut, à l'Académie des sciences.

Cette ascension brillante ne lui monte pas à la tête et permanent les deux impressions issues de son adolescence. Les grands pontes de la neurophysiologie cèdent aux plus minables des cabales et des susceptibilités. Par ailleurs, un antisémitisme rampant continue de se frayer un chemin, lui rappelant le temps où on lui avait dit : « Je n'imagine pas qu'un médecin ait un nom commençant par la lettre K. »

L'Amérique et Israël

New York, Chicago, Buffalo, sa profession le conduira plusieurs années vers le Nouveau Monde. Et là, loin des miasmes de la vieille Europe, il dit son admiration pour l'énergie américaine. Jusqu'à ce que son engagement communiste le signale de fâcheuse manière.

Autre terre promise, la découverte d'Israël, dont le moins qu'on en puisse dire est qu'elle déclenche des sentiments mêlés. Si l'ancien vendeur de l'« Huma » se sent tenu de répéter les habituels slogans sur le colonialisme, très vite, il se sent là-bas coupable de ne pouvoir déchiffrer l'hébreu et décide de l'apprendre. Bien que se déclarant incroyant, il accepte de faire une conférence scientifique dans une synagogue de Tel Aviv.

Du combat de Jacob avec l'Ange (« Genèse » XXXII, 25), Henri Korn tire bizarrement l'idée que l'ange n'est autre que Dieu lui-même, qui révélera à son adversaire que son nom sera désormais Israël. Ainsi se développe la spiritualité chez un curieux savant qui, déjà, pensait que le hasard peut s'introduire dans les infinités possibilités synaptiques. Ainsi le jeune enfant traqué semble-t-il, loin de ses idéologies passées, retrouver un havre. Et nous invite, à la fin de son ouvrage, à faire renaître un monde juif disparu à partir d'Israël, formidable synapse !

* Odile Jacob, 304 p., 25,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9504