Fantasme ou réalité ?

L'existence algorithme

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Publié le 30/05/2016
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Idées-Benasayag

Idées-Benasayag

Dans la tradition philosophique, le cerveau est l'organe noble et législateur. La pensée de Platon a promu l'image de l'ingénieur, celui qui pense, conçoit des idées qu'il ne restera plus qu'à appliquer. De même, Descartes se positionne comme « chose pensante » : face à un corps synonyme d'erreurs et de passions, il est un sujet surplombant le corps et le monde.

Mais pour la biologie moléculaire et les neurosciences, le cerveau n'est jamais qu'une totalité réductible à ses composantes, il doit être compris selon les lois de la physique, ou, comme l'explique Miguel Benasayag, il n'existe plus de principe d'intégration dépassant ses parties. Le cerveau a perdu sa noblesse, il est étroitement lié au développement technologique actuel, puisqu'on peut modifier progressivement le monde. Le cerveau n'échappe pas à un mouvement général, la numérisation du réel. L'interaction entre le cerveau et les machines numériques permet d'espérer une augmentation des performances de ce cerveau-machine.

Une machine coupée de la culture

Il n'est donc pas surprenant que le nouvel « homme neuronal » voit son cerveau identifié à un ordinateur, une machine « capable de traiter une énorme quantité de données et de tirer des conclusions à partir de l'utilisation des algorithmes du programme incorporé ». Une machine dont l'auteur montre qu'elle est coupée du sens et de la culture.

Profondément philosophe, Miguel Benasayag sait prendre à tout moment le recul de la pensée. Ni technophile ni technophobe (une position qui était déjà celle de Luc Ferry sur le même sujet), il se demande ce que peut signifier cet homme au cerveau augmenté dans lequel il sera peut-être possible de télécharger des compétences ou de récupérer des souvenirs perdus. Et, de façon plus profonde, pourquoi la technique en est venue à occuper le centre de la scène.

L'auteur répond que, sur fond d'échec de nos terribles utopies politiques, l'homme se livre à une technologie dont la vie et la culture ne seront que des segments, où la singularité même d'homme aura disparu, car si vous êtes un peu triste, un cerveau-ordinateur vous remettra un peu de joie.

La quatrième humiliation

Ainsi, après les trois humiliations – Copernic et Galilée ont montré que nous ne sommes pas au centre de l'Univers, Darwin nous a situés dans la chaîne des espèces et Freud a révélé que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes –, en surviendrait une quatrième : notre vie psychique ne serait bientôt plus qu'une lueur produite par des algorithmes.

* Traduit par Véronique Piron, La Découverte, 200 p., 18 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9500