Insolite, dérision, absurde

L’humour comme art de (sur)vie

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Publié le 03/04/2017
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L-A l'épreuve du nON

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L-Un escargot

L-Un escargot

L-Tous les hommes

L-Tous les hommes

L-On s'y attend

L-On s'y attend

L-Comment ma femme

L-Comment ma femme

L-Parler

L-Parler

Les amateurs de football comme ceux qui le dédaignent vont se réconcilier en découvrant « Comment ma femme s’est mariée » (1), lauréat en 2006 du prix Littérature du monde, la plus haute distinction littéraire coréenne. Le roman a pour thème la rencontre, par le hasard de leur travail, d’un supporter du Real Madrid et d’une fan du FC Barcelone ; tandis que lui est plutôt conventionnel, elle n’envisage pas l’exclusivité au sein du couple. Si Park Hyun-wook reconnaît qu’il n’est pas spécialiste du football, ni passionné par ce sport, s’il dit qu’il ne s’y connaît pas très bien en amour, ni en mariage et qu’il n’a qu’une connaissance superficielle des diverses théories sociologiques et anthropologiques qu'il évoque, il nous amuse avec brio avec ce mélange d’histoire du foot, de déclarations de joueurs célèbres et d’assertions inattendues sur le sport de spécialistes tout aussi renommés, avec aussi sa volonté d’ouverture sur l’autre et de tolérance. Un roman sur le bonheur, tout simplement.

Plus conventionnel, le troisième roman, et le premier à paraître en France, de Chiara Moscardelli, « Quand on s’y attend le moins » (2). Il met en scène une Bridget Jones italienne (36 ans, complexée, célibataire), qui croise dans la rue son prince charmant, le retrouve un mois après dans l’entreprise où elle travaille, sous un autre nom et sans qu’il semble se souvenir d’elle. Quels secrets cache cet homme trop beau pour être honnête ? Une comédie romantique avec un zeste de suspense et un grand sens de l’autodérision, dans le doux parfum des Pouilles.

Recettes

Après une comédie à succès (« Demain matin si tout va bien »), Cécile Krug plonge dans la marmite d’une mode qui fait recette : les cures de jeûne alimentaire. Dans « Parler ne fait pas cuire le riz » (3), c’est Jeanne qui s’y colle : 40 ans, esseulée, fauchée, malléable, elle accepte, bien que boulimique patentée, de combiner pendant huit jours diète forcée, yoga et randonnée. Sous la houlette d’une gourou déjantée et de son mari, baba cool à la masse, plus quelques comparses. Un mets de choix dont il serait dommage de se priver.

Sept personnages en quête de bonheur sont présents dans « Un escargot tout chaud » (4), le premier roman de la comédienne, réalisatrice et dramaturge Isabelle Mergault. Sept personnages de tous âges pris dans un braquage et qui, parce qu’ils ont tout raté, n’en ont « rien à cirer ». Si l’on se souvient de la gouaille délurée de l’auteure depuis ses interventions à la radio et à la télévision (« Les Grosses Têtes »), le livre est plutôt une fantaisie charmante autour de la notion d’amour, où le comique le dispute à l’émotion.

L’amour est encore la grande affaire du nouveau roman (après « Au feu, Gilda ») de l’ex-comédienne québécoise Géraldine Barbe. Ladite Gilda s’est mis en tête d’écrire un traité de l’amour parfait alors que sa propre histoire foire. Entre les délires que provoque ce nouvel amoureux du genre impossible, sa petite voix intime qui la pousse à la raison et son attirance non avouée pour l’ex de sa meilleure amie, on se demande finalement si « Tous les hommes chaussent du 44 » (5) n’est pas un vade-mecum légèrement loufoque destiné aux hommes, pour qu’ils comprennent comment fonctionnent les femmes.

C’est une drôle de thérapie que propose Jia Jiang (né à Pékin, il vit aujourd’hui aux États-Unis) pour surmonter la peur du rejet. Convaincu, après maints échecs, que c’était la crainte de voir ses idées rejetées qui l’empêchait d’avancer, il a décidé, pendant cent jours, de lancer des défis incongrus à de parfaits inconnus afin de comprendre la mécanique du refus et de réajuster ses demandes. D’abord exposées avec succès sur son blog, les vidéos de ses challenges improbables sont mises en pages dans « À l’épreuve du NON » (6), qui oscille entre témoignage parfois drolatique et guide pratique pour retrouver confiance en soi.

Avec Philippe Claudel, membre de l’académie Goncourt (« les Âmes grises », prix Renaudot, « le Rapport de Brodeck », prix Goncourt des lycéens) et réalisateur (« Il y a longtemps que je t’aime », qui a reçu deux César), l’humour se fait très noir. Pour lui, « Nous sommes devenus des monstres. On pourrait s’en affliger. Mieux vaut en rire. » Tel est le principe d'« Inhumaines » (7), un roman de mœurs qui rassemble 25 histoires cauchemardesques et caricaturales destinées à montrer la cruauté de notre société. Ici le sexe est réduit à un bien de consommation, les pauvres sont parqués comme des animaux auxquels il est interdit de jeter de la nourriture, les cadavres congelés des SDF morts dans la rue sont vendus comme des œuvres d’art… Le malaise est omniprésent, mais la charge est volontaire, car, souligne l’auteur, tout est inspiré de faits réels.

(1) Philippe Picquier, 392 p., 19 €
(2) Belfond, 313 p., 19,50 €
(3) Flammarion, 327 p., 18 €
(4) Grasset, 174 p., 16,90 €
(5) Rouergue, 126 p., 14,50 €
(6) Belfond, 230 p., 16 €
(7) Stock, 130 p., 16,50 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9569