Exil, bannissement, condition des réfugiés

L'immigration par la fiction

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Publié le 05/02/2018
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L-Sous les étoiles silencieuses

L-Sous les étoiles silencieuses

L-Exit West

L-Exit West

L-Retour à Séfarad

L-Retour à Séfarad

L-Pecheurs d'hommes

L-Pecheurs d'hommes

L-Ce soir on regardera les étoiles

L-Ce soir on regardera les étoiles

Auteur d’une trentaine de livres, dont de nombreuses biographies (Simenon, Hergé, Cartier-Bresson…), Pierre Assouline s’est pour une fois consacré héros de son nouveau livre, « Retour à Séfarad » (1). Un roman d’aventures lorsqu’il a cédé à l’appel « historique » de l’actuel roi d’Espagne Felipe VI, d’accorder la citoyenneté espagnole aux descendants des Juifs expulsés de la terre de leurs ancêtres par Isabelle la Catholique en 1492. Sans attendre sa naturalisation, l’académicien Goncourt a investi l’Espagne, il s’est plongé dans les archives et a parcouru le pays.

Ses tribulations se partagent entre les inévitables et incompréhensibles tracasseries administratives, le retour sur cinq siècles d’histoire et la rencontre avec les écrivains, poètes, artistes qui ont fait la grandeur de l’Espagne, comme avec l’homme de la rue, fan du Real Madrid ou de la post-Movida. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le vrai sujet du livre, ce ne sont ni les Séfarades ni l’Espagne, c’est une réflexion sur l’identité. « Je suis français, né au Maroc avec une double filiation séfarade et judéo-berbère, et très européen », souligne Pierre Assouline.

Périples de survie

Avec « Exit West » (2), Mohsin Hamid a réussi à évoquer la violence, la guerre, l’exil et la condition des migrants avec poésie et même de la magie. Dans une ville quelque part au Moyen-Orient, deux jeunes gens commencent à s’aimer. Mais les échanges de tirs et les contrôles toujours plus nombreux les incitent à partir, à emprunter une de ces portes magiques qui ouvrent la voie vers l’Occident. Une première porte les transporte à Mykonos, où ils sont ballottés dans le flux des immigrants ; une deuxième les mène à Londres, en proie à des rivalités entre les communautés de réfugiés et à la répression de ceux qui voudraient mettre fin à toute immigration ; la porte vers la Californie sera-t-elle la bonne ? « Je suis un hybride, un bâtard culturel et je le revendique », dit Mohsin Hamid. Après avoir vécu en Angleterre et aux États-Unis, il est retourné dans sa ville natale de Lahore, au Pakistan.

C’est aussi un état des lieux sans concession de la condition des réfugiés aujourd’hui que donne Laura McVeigh dans « Sous les étoiles silencieuses » (3). L’auteure, qui a grandi en Irlande du Nord, n’est pas directement impliquée, mais elle a toujours milité pour la liberté d’expression et la défense des droits de l’Homme. La narratrice est une jeune fille de 15 ans, Afsana, en route avec sa famille vers la Russie au terme d’un voyage depuis Kaboul qui n’en finit plus. À bord du Transsibérien, elle se souvient des jours heureux, puis de l’horreur qui s’est immiscée dans leur quotidien et les a contraints à partir. Un premier roman entre détresse et espoir.

Kaboul est également la ville d’Ali, qui a 8 ans en cette année 1997. Il jouait comme les autres gamins au milieu des décombres et des bombardements, jusqu'au jour où un missile a rasé sa maison et tué ses parents. Commence alors pour Ali et Mohamed, son frère de 17 ans, un périple de survie sur les routes afghanes contrôlées par les talibans. Cinq ans plus tard, après avoir traversé l’Iran et la Turquie, c’est en s’agrippant sous le ventre d’un camion embarqué au port de Patras, en Grèce, qu’il espère aborder aux côtes italiennes. Entre-temps, il a perdu la trace de Mohamed. Né à Kaboul en 1989, Ali Ehsani a dû fuir l’Afghanistan en 1998 après la mort de ses parents. Dans « Ce soir, on regardera les étoiles… » (4), il raconte cet exil de cinq années à travers le Moyen-Orient et l’Europe, jusqu’en Italie où il vit toujours.

Chef du service Reportages de France Inter, Eric Valmir est un amoureux de l’Italie. Dans son troisième roman, « Pêcheurs d’hommes » (5), il s’attarde sur un lieu déconcertant, Lampedusa, île qui recèle des paysages idylliques mais où viennent s’échouer, souvent mourir, ceux qu’on appelle les « migrants ». À Lampedusa vivent Nicolo et son père, un pêcheur qui n’en peut plus de ramener des corps noirs dans ses filets plutôt que des poissons. C’est à travers le regard toujours émerveillé par la beauté de l'île de son fils, enfant puis adolescent, que nous visitons ce bout de terre mal aimé – le symbole de l’une des plus grandes hontes contemporaines –, mal compris en tout cas.

Cinquante ans après

Tahar Ben Jelloun est né au Maroc en 1944. Installé en France depuis 1971, il a publié une soixantaine d'ouvrages et obtenu le prix Goncourt en 1987 pour « la Nuit sacrée ». Il est un migrant mais l’exil n’est pas le thème de « la Punition » (6). Le livre raconte comment, pour avoir participé en mars 1965, sous le règne d’Hassan II, à une réunion pacifique, il a été enfermé pendant dix-neuf mois dans des casernes, avec 93 autres étudiants, et a subi toutes sortes d’humiliations et de mauvais traitements de la part de gradés dévoués au général Oufkir. « Pour avoir manifesté calmement, pacifiquement, pour un peu de démocratie, j’ai été puni. Pendant des mois, je n’ai plus été qu’un matricule, le matricule 10366. Un jour, alors que je ne m’y attendais plus, j’ai retrouvé la liberté. J’ai pu enfin, comme je le rêvais, aimer, voyager, écrire et publier de nombreux livres. Mais pour écrire “la Punition”, pour oser revenir à cette histoire, en trouver les mots, il m’aura fallu près de cinquante ans. » 

 

 

(1) Gallimard, 441 p., 22 €
(2) Grasset, 207 p., 19 €
(3) Fleuve, 336 p., 19,50 €
(4) Belfond, 315 p., 21 €
(5) Robert Laffont, 306 p., 19 €
(6) Gallimard, 153 p., 16 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9637