Le festival de Cannes

Morts-vivants et vivants en colère

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Publié le 20/05/2019
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Cinéma-Atlantique

Cinéma-Atlantique
Crédit photo : AD VITAM

Les morts-vivants c'est nous. Jim Jarmusch le dit avec humour et élégance dans « The Dead Don't Die », déjà un succès sur les écrans français. Jeunes branchés, vieux blasés, enfants fous de sucreries, ados enfermés dans la pop culture, adultes jouant avec les armes, Blancs, Noirs, tous entraînés entre mort et vie par la société de consommation. La métaphore est séduisante mais pas des plus légères et les citations cinématographiques sont amusantes mais flirtant parfois avec les redites.

Des morts-vivants, il y en a aussi dans « Atlantique », l'impressionnant premier long métrage de la Franco-Sénégalaise Mati Diop. Des fantômes plutôt, et qui cette fois ne font pas du tout rire. Au centre de l'histoire deux très jeunes gens qui s'aiment. Lui travaille sur un chantier dont les ouvriers ne sont pas payés depuis trois mois ; elle est promise en mariage par sa famille à un autre homme. Nous sommes au bord de l'Atlantique, dans un quartier populaire de Dakar où la vie est difficile, et la tentation est celle de l'évasion par la mer, pour aller chercher un avenir moins fermé.

On n'en dira pas plus. La jeune réalisatrice maîtrise son sujet (autre métaphore, sur l'immigration, ses causes et ses conséquences) et sa caméra. Et, accessoirement, l'héroïne (Mamé Sané) est très belle. À voir sur grand écran à une date non encore fixée. Et peut-être au palmarès…

L'avenir des enfants des cités

Eux sont bien vivants, trop pleins et de vie et bientôt de colère, les enfants de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, que met en scène Ladj Ly dans « les Misérables ». Dans la cité où le réalisateur, qui signe lui aussi son premier long métrage, a grandi, les adultes ont échoué, parents, figures du quartier qui tiennent chacun leur domaine ou communauté (trafics, religion, organisation de la cité), policiers. Les « petits » seraient pour certains plus sages, mais devront peut-être eux aussi recourir à la violence.

Misérables, ils le sont tous, et pas seulement parce que c'est à Montfermeil qu'Hugo situe en partie son célèbre roman. Misérables parce que vivant, survivant, travaillant dans des quartiers abandonnés depuis des décennies par les politiques.

La force de Ladj Ly, outre la maîtrise du temps du récit et celle des scènes de groupe, voire de foule, c'est de ne condamner personne, même pas le flic raciste, et de laisser percer une lueur d'espoir. Tous victimes, tous humains.

Les exploités d'aujourd'hui

Non moins abandonnés, les nouveaux esclaves de la mondialisation. Dans « Sorry We Missed You », Ken Loach et son indispensable scénariste Paul Laverty, toujours au rendez-vous de la dénonciation des fractures sociales, nous emmènent à Newcastle auprès d'une famille – père, mère, deux enfants dont un ado – qui fait tout pour s'en sortir. Le père se lance donc, en travailleur indépendant, c’est-à-dire surexploité, dans la livraison de colis. Un système d'ubérisation qui fait la fortune des plates-formes et des grandes sociétés mais, le plus souvent, le malheur des individus qui en sont les rouages.

« La technologie est nouvelle mais l'exploitation est vieille comme le monde », relève Ken Loach, moins que jamais résigné. Le réalisateur deux fois palmé fait le job, au plus près de ses personnages, de leurs difficultés et de leur résilience. Le cinéma n'en est pas changé mais la réflexion fait son chemin, du moins on l'espère. Le film est attendu le 23 octobre.

Renée Carton

Source : Le Quotidien du médecin: 9751