Récits au fil des décennies

Nuances de nostalgie

Par
Publié le 29/05/2017
Article réservé aux abonnés
L-Les Années Solex

L-Les Années Solex

L-Villa Kérylos

L-Villa Kérylos

L-Dakota Song

L-Dakota Song

L-Khadafi

L-Khadafi

L-La Rue

L-La Rue

L-Aucun été

L-Aucun été

L-Les Soirées chez Mathilde

L-Les Soirées chez Mathilde

Transformée en musée et ouverte au public, la « Villa Kérylos » (1), édifiée sur un promontoire à Beaulieu-sur-mer en 1908, a été investie par l’historien de l’art et romancier Adrien Goetz. La visite se fait par l’entremise d'un vieil homme, qui, pièce après pièce, redécouvre son passé. Lorsque, gamin et bien que fils de la cuisinière, il a été accueilli par les frères Joseph, Salomon et Théodore Reinach, qui lui ont ouvert les portes de leur caverne aux trésors et lui ont donné l’envie d’étudier. Un hommage à cette riche fratrie d’hellénistes érudits, militants humanistes, et à une époque où le savoir était un élément de réussite sociale en même temps que de plaisir et de goût.

Ariane Bois, qui a vécu plusieurs années aux États-Unis, revisite la ville de New York à travers la décennie 70, et plus précisément le célèbre immeuble Dakota, un huis-clos ouaté et luxueux sur Central Park, où vécurent pléthore de célébrités des arts et des spectacles. Dans « Dakota song » (2), ces personnages réels côtoient des personnages fictifs à la suite de Shawn Pepperdine, un jeune de Harlem contraint de se réfugier dans les sous-sols du bâtiment et qui deviendra le premier portier noir de l'immeuble. Il représente, pour l’auteure, l’espoir et la volonté de s’en sortir.

Le Harlem des années 1940 est au cœur de « la Rue » (3), le best-seller de l’Afro-américaine Ann Petry (1908-1997), publié aux États-Unis en 1946 et en France en 1948, à l’instigation de Philippe Soupault, et jamais réédité depuis. Sa parution dans « Vintage noir » est l'occasion de redécouvrir l’une des romancières du Mouvement Harlem Renaissance, qui marqua l’entre-deux-guerres. L'histoire est celle d’une jeune mère célibataire qui se démène pour offrir à son fils une vie digne de ce nom dans les tréfonds du quartier où règnent la corruption, la misère, la saleté et le froid.

Dominique Fabre, qui a publié une douzaine de romans, recompose une époque pas si lointaine et à jamais disparue, les années 1980. « Les Soirées chez Mathilde » (4) est porté par la voix d’un étudiant un peu largué, qui, par le hasard d’une rencontre, abandonne sa chambre de bonne pour investir une belle maison de la banlieue chic. À Sèvres, loin de son quotidien étriqué et solitaire, il se mêle à une bande de garçons et de filles qui boivent, bavardent, dansent et flirtent dans une atmosphère presque délétère. Des figures qui, elles aussi, retourneront dans les brumes du temps.

Auteur de romans de science-fiction, fantastiques ou noirs, Luca Masali donne, avec « Kadhafi, le foot et moi » (5), une comédie à l’italienne digne de ces années 1980. Où un petit délinquant faussement accusé de terrorisme - c’est la fin des Brigades rouges -, fou de foot et de voitures, monte du fond de sa prison une arnaque à grande échelle impliquant la Fiat, la Toro (l’autre équipe de foot turinoise) et Kadhafi. Une mégalomanie qui s’inscrit dans une époque marquée par les luttes sociales et la mondialisation industrielle.

Avide de liberté

Dans les années 1960, il y a eu l'avant et l'après Mai 68. Dans « Aucun été n’est éternel » (6), Georges-Olivier Châteaureyaud (« la Faculté des songes », prix Renaudot 1982) s’attache aux pas d’un adolescent qui, le temps des vacances en 1965, découvre Athènes puis Tanger et Londres. Il découvre surtout l'amitié, la liberté, le sexe, la musique, la drogue. Jusqu’au moment où il devra rentrer pour affronter la vraie vie et le drame qu’il avait laissé derrière lui.

De la même façon, « Les Années Solex » (7), d’Emmanuelle de Boysson, rappelle une génération avide de liberté, mais l’aventure se cantonne ici à l’Alsace, durant l’été 1969. En vacances chez ses grands-parents, une lycéenne, mal à l’aise dans ce milieu provincial étriqué, tombe amoureuse d’un jeune rebelle anarchiste et révolutionnaire. Elle devra cependant choisir sa voie et peut-être tracer son propre chemin.

« Un seul parmi les vivants » (8), le premier roman de l’Américain Jon Sealy, salué par une presse unanime, est une voix originale qui ressuscite l’époque de la Grande Dépression. Ce jeune auteur de 28 ans nous fait partager l’enquête d’un shérif quasi-septuagénaire, après que deux hommes ont été abattus par balle. En Caroline du Sud, en 1932, la prohibition est encore la règle, Larthan Tull est le magnat du bourbon et Mary Jane Hopewell, vétéran de la Grande Guerre qui vit en marge de la société, le coupable idéal.

Deux autres livres se conjuguent au passé-présent. « Florilège » (9) est un inestimable recueil qui regroupe une quarantaine des textes les plus représentatifs de la nouvelliste Annie Saumont, disparue en janvier dernier. On voit comment, à partir de détails du quotidien et de situations qui simplement dérapent, des antihéros, victimes et spectateurs de leurs propres destins, forment un sombre tableau de l’humanité.

(1) Grasset, 342 p., 20 €
(2) Belfond, 439 p., 20 €
(3) Belfond, 377 p., 18 €.
(4) L'Olivier, 236 p., 18,50 €
(5) Métailié, 321 p., 21 €
(6) Grasset, 332 p., 20 €.
(7) Héloïse d'Ormesson, 218 p., 18 €
(8) Albin Michel, 355 p., 22,90 €
(9) Julliard, 425 p., 21 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9584