CLASSIQUE - L’Holland Festival, à Amsterdam

Quand l’indignation est dans l’air

Publié le 11/06/2012
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Crédit photo : J. DEL REAL

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Crédit photo : P. WEYMAN

« C(H)ŒURS » fait évidemment référence au cœur et aux chœurs. Pièce de près de deux heures, un grand format dans le monde de la danse contemporaine ou du moins du théâtre-danse tel qu’il existe aujourd’hui en Europe, elle a une dimension politique et une composante humaine. Le choix de Verdi et de Wagner n’est pas innocent, avec des musiques nées dans une période de nationalisme exacerbé. La musique chorale notamment, quand la vox populi s’exprime dans la rue et dans les pays opprimés et quand l’indignation est dans l’air. Platel utilise 10 danseurs venus d’horizons très variés qui dansent beaucoup plus que dans les pièces de théâtre-danse, spécialités de sa compagnie, Les Ballets C. de la B. S’ils exposent leur nudité dès le début de la pièce, ils récupèrent vite leur dignité humaine et infiltrent le chœur qui entame un concert au luxe tapageur, avec 150 musiciens madrilènes sur scène et dans la fosse, sous la direction énergique de Marc Piollet. Mais peu à peu, au fil des grands tubes de Verdi, avec le « Requiem », « Nabucco » et « Macbeth », et de Wagner, avec principalement « Lohengrin » et « Tannhäuser », les choristes se dispersent, se mêlent aux danseurs, déclinent leur identité et leurs sujets de protestation, se dénudent un peu et le cadre éclate complètement pour donner lieu à un grand happening plutôt inhabituel sur une scène d’opéra. Paradoxalement la danse gagne en structure au fil de la pièce, avec même des duos très élaborés, vraiment dansés et loin de la gestique convulsive qui semble être le vocabulaire principal des deux premiers tiers de la pièce.

Une héroïne singulière.

Avec « Lilith », deuxième création du week-end d’ouverture, on passe à l’autre extrême : l’intimité de la scène de cabaret, dans le charmant théâtre Bellevue, aux proportions réduites. Le soprano américain Claron McFadden, qui a mené une carrière exemplaire au concert, au music-hall et à l’opéra (on a pu l’applaudir notamment au festival de Glyndebourne), a mûri longtemps ce projet de chanter seule avec un pianiste sur un sujet défini par elle et dont la direction artistique serait totalement sienne. Son choix s’est porté sur Lilith, personnage célèbre de la mythologie juive, première épouse d’Adam, qui le quitta, n’ayant pu se faire à l’idée de lui être soumise et de ne pas être son égale, renonçant au paradis et à la vie conjugale. Dans cet espace très restreint, accompagnée par le compositeur de jazz bulgare Dimitar Bodurov et avec un film où figure l’excellent comédien néerlandais Jeroen Willems, Claron McFadden, grande actrice au talent complet, grâce au chant, à la parole et l’usage interactif très ingénieux de la vidéo, fait évoluer de façon très passionnelle et poignante son héroïne au destin si singulier. Une fascinante pièce de théâtre musical.

Holland Festival Amsterdam (tél. 31.20.788.21.00, www.hollandfestival.nl) jusqu’au 28 juin. Des représentations de « Lilith » auront lieu en septembre à Bruxelles, Eindhoven, Bruges, Utrecht et La Haye.

OLIVIER BRUNEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9139