« Ariane à Naxos », « la Femme sans ombre »

Richard Strauss sur DVD

Publié le 10/03/2014
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Classique

Déjà publiée par le label Arthaus en 2004, « Ariane à Naxos » fut filmée en 1965 au Festival de Salzbourg. Karl Böhm a eu le monopole d’« Ariadne » à Salzbourg de 1953 jusqu’à sa mort. Des trois productions qu’il a dirigées, celle-ci, mise en scène par Günther Rennert dans des décors et costumes d’Ita Maximowa, certainement le dernier cri du modernisme à l’époque, paraît bien lourde aujourd’hui. Mais la mise en scène, prise au pied de la lettre et d’une belle vivacité, est très agréable à regarder.

Sena Jurinac, au timbre si lumineux, Compositeur très engagé, fait le prix de ce DVD. Jess Thomas est un Bacchus solide vocalement mais sans vrai charme. Reri Grist est une grande Zerbinette aux aigus très faciles et agiles, pétillante et à l’abattage étonnant. Et, avec les somptueux Wiener Philharmoniker, la direction de Karl Böhm est exquise dans les moindres détails, chambriste sans être trop analytique, onirique dans le prélude de l’opéra, lyrique mais pondérée et dans le grand respect de la tradition straussienne. Ce document fera un pendant plus vivant à son « Ariadne » de studio de 1978 avec Gundula Janowitz, Trudeliese Schmidt, Edita Gruberova et René Kollo, superbe mais moins spontanée, un peu trop figée dans le carton-pâte dans la production de Filippo Sanjust (Unitel/DG Universal).

Des versions à comparer

« La Femme sans ombre » est l’opéra le plus ambitieux de Strauss et Hofmannsthal et sa discographie est riche et luxueuse. En vidéo, le choix a longtemps été réduit à la version somptueuse de Wolfgang Sawallisch réalisée pour Munich par le Japonais Ennosuke Ichikawa. Peter Seiffert, Luana DeVol, Alan Titus, Janis Martin et Marjana Lipovsek, c’était encore un luxe et un style fort appréciables et la lecture de Swallisch, bien que beaucoup plus prudente et analytique que celles de Böhm et Karajan, avec toujours un pied dans la tradition, offre une nouvelle façon d’entendre cette œuvre si foisonnante (TDK). La version dirigée un peu trop roidement en 1992 par Georg Solti au Festival de Salzbourg (Decca), réalisée par Götz Friedrich, avec une distribution aussi luxueuse – Studer, T. Moser, Hale, Marton, Lipovsek, Terfel –, est une autre bonne proposition, avec une symbolique visuelle plus pesante.

Les plus débrouillards ont pu se procurer par les circuits non officiels l’enregistrement pour la télévision de la fameuse production parisienne de 1972, signée Nikolaus Lenhoff et dirigée par Christophe Von Dohnanyi. Avec Kolo, Behrens, Dunn, Grundheber, Berry, c’était encore un luxe formidable, la suite de la grande tradition, mais la fin d’une génération ayant servi l’œuvre sous les baguettes des derniers géants des scènes munichoise et viennoise. Récemment, Opus Arte a édité une production controversée du Festival de Salzbourg 2011 sous la direction de Christian Thielemans, réalisée par Christof Loy. On y assiste à la reconstitution de l’enregistrement en studio, à Vienne en 1955, de la fameuse version de Karl Böhm, la toute première de l’histoire du microsillon pour cet opéra. Si cette mise en scène ne propose aucune clé pour comprendre un opéra que l’on a trop souvent comparé par simplification à « la Flûte enchantée » de Mozart, elle facilite, avec l’aide de la loupe sur les acteurs que permet le DVD et du sous-titrage, la lisibilité d’une action assez touffue.

Dernière parution, sous le label du Théâtre Mariinsky, le DVD d’une production réalisée en 2009 par Jonathan Kent et le designer Paul Brown, filmée en 2011 sous la direction de Valery Gergiev, chantée par une distribution locale sans aucun outsider à la troupe du théâtre. Que l’on n’attende pas de cette réalisation de résoudre les problèmes que pose la symbolique de l’œuvre. Son esthétique est assez déroutante, avec ses machines à laver, ses téléviseurs, ses costumes si peu poétiques, sa vulgarité, et une direction d’acteurs compliquée qui éloigne du propos. Il y a trop d’écart entre ce que l’on voit et ce que disent les sous-titres. La distribution est scindée en deux avec un Barak (Elem Umerov) et une Teinturière (Olga Sergeva), qui, avec des moyens considérables, n’ont ni le phrasé, ni la couleur qui conviennent à l’humanité de leurs rôles respectifs. August Amonov (l’Empereur) et surtout Mlada Khulodey (l’Impératrice) ont des voix plus appropriées : beaucoup de vaillance pour lui et pour elle les aigus et l’endurance des grands rôles straussiens. Superbe aussi la Nourrice d’Olga Savova, à l’abattage surhumain. Le plus impressionnant, et qui fait le prix de ce DVD, est la somptuosité de l’Orchestre du Mariinsky, dont ce n’est pas vraiment le répertoire le plus courant, et la direction de Valery Gergiev, rutilante, précise, passionnée et superbement dramatique.

Reste à espérer la parution prochaine de la très spectaculaire production de Munich, réalisée en décembre dernier par Kirill Petrenko et Krzysztof Warlikowski, assez décoiffante, si l’on en juge par les images que l’on peut voir sur YouTube.

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du Médecin: 9308