Onfray orchestre le grand affrontement

Rome contre Athènes, ou le courage contre le verbiage

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Publié le 21/01/2019
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Idées-Onfray

Idées-Onfray

Il n'est pas étonnant que Michel Onfray situe sa réflexion initiale à l'ombre du Vésuve à la fin de l'année 79. Tout y rappelle le détail de la fameuse éruption qui engloutit Pompéi, Herculanum et des cités avoisinantes et fit au moins 20 000 morts. Comme l'évoquent deux lettres de Pline le Jeune à Tacite sur la mort de son père adoptif Pline l'Ancien.

C'est le portrait d'une ville violente que font les historiens de l'époque, une ville captée par le labeur, l'effort physique, « une ville pratique et pragmatique où on construit des maisons et assèche des marécages », mais où s'opposent le temps du loisir (otium) et celui du commerce (neg-otium).

Dès le début, l'auteur tient à ne pas trop pousser au bout l'opposition entre un monde latin très investi dans le réel et l'univers hellénique marqué par l'idéalisme du concept. De fait, « Rome aime les mots et les prend au sérieux. Voilà pourquoi elle ne badine pas avec les philosophes. On aurait tort de croire qu'elle n'apprécie pas la discipline, car ce qu'elle méprise chez quelques-uns qui la pratiquent, c'est leur délire verbal, le caractère inhabitable de leurs châteaux conceptuels en Espagne. » Autant de phrases qui masquent mal une prise de position quelque peu partiale de l'auteur du « Traité d'athéologie ».

Galien, médecin de plusieurs empereurs, estimait que pratiquer la philosophie était aussi utile que l'art de faire des trous dans les grains de blé. On voit pourtant dans les références fournies par Michel Onfray que, loin d'être quelque exercice d'éloquence vaniteuse, le fait de bien parler confère à la Rhétorique un statut privilégié, alors qu'elle ne serait en Grèce que l'art de former des sophistes.

Quelques puissants infinitifs scandent l’histoire romaine, qui convergent vers le courage lorsque Mucius Scaevola laisse lentement s'écouler sa main qui brûle. Comment mourir et quitter ce monde, question qui réintroduit l'éternelle question du suicide et du « mystère Sénèque ».

Nous l'avons dit, Michel Onfray n'aime rien tant que les fortes oppositions, l'honnêteté des professeurs de province contre les cuistres germanopratins, de manière générale la campagne contre la ville, la vraie gauche (Camus) contre la stalinienne (Sartre). Il se plaît énormément dans la confrontation entre les deux visions de l'Antiquité.

On peut cependant se demander si ses thèses sont convaincantes. Il y a beaucoup de violence dans « la République de Platon », qui contient le parfait modèle du totalitarisme. Et un baroque plein de couleurs lorsque, vers la fin de son ouvrage, Michel Onfray nous introduit dans un véritable péplum où se produisent des « gladiatrices » et où on attend l'arrivée de Robert Taylor.

Reste qu'on retrouve dans ce travail beaucoup d'accents nietzschéens, en particulier la détestation de Socrate, et un talent véritablement incendiaire. Le même que celui utilisé par Néron pour mettre le feu à Rome.

Michel Onfray, « Sagesse , Albin Michel-Flammarion, 528 p., 22,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9717