« Punir, une passion contemporaine »

Sanctionner et faire souffrir

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Publié le 06/03/2017
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Idées-Punir

Idées-Punir

D'emblée des affirmations saisissantes, et une pluie de chiffres que l'on épargnera au lecteur. « La France traverse la période la plus répressive de son histoire récente (...) Jamais autant d'hommes et de femmes n'y ont été emprisonnés. En un peu plus de soixante ans, la démographie carcérale a été multipliée par trois et demi. »

Des précisions qui, en général, suscitent immédiatement deux attitudes contraires. L'une consiste à dire que l'augmentation des incarcérations correspond à un accroissement de la criminalité. L'autre met l'accent sur la création de dispositifs nombreux, propres à déceler sans cesse de nouveaux « crimes ».

La punition dépend par ailleurs de facteurs culturels. Une hypersensibilité à de nouvelles formes de criminalité peut se développer à un moment donné. Ainsi l'importance qu'ont pris aujourd'hui les enjeux de sécurité.

Mais qu'est-ce que punir ? Un juriste et philosophe anglais, H. L.A. Hart, a tenté de préciser les critères d'un « bon » châtiment. Certes, il doit répondre à une infraction précise, s'appliquer à l'auteur réel, être administré par une autorité reconnue, etc. Mais il semblerait qu'en plus de caractériser le châtiment, on en légitime ce qui en fait l'essence : il doit infliger une souffrance. Inutile de trop insister sur la fascination des peuples d'autrefois devant les exécutions en place publique, relisons le début du « Surveiller et Punir » de Michel Foucault.

Il s'ensuit que la différence entre la punition et la vengeance n'est pas toujours très claire. En principe, la punition se fixe des limites en proportion de la gravité de l'acte, tandis que la vengeance ne se donne pas de limites et… cause un grand plaisir aux témoins du supplice ainsi qu'aux spectateurs dans la pénombre du cinéma.

S'interrogeant sur ce qui peut justifier l'acte de punir, Didier Fassin, s'appuyant sur d'excellents travaux, distingue deux théories justificatives. La première, de nature anglo-saxonne, est utilitaire. Le châtiment permet de mettre la société à l'abri d'une récidive, d'où la nécessité, suivant les cas, d'exécuter, d'incarcérer, de déporter les coupables.

L'autre théorie est rétributive. Le coupable a atteint le cœur de la société, celle-ci exige réparation. Une conception qui, en son fond, est taillée sur le modèle de la dette, comme l'a bien vu Nietzsche dans « la Généalogie de la Morale », mais qu'avait poussé au paroxysme Shakespeare dans « le Marchand de Venise », où l'usurier se paie en exigeant un morceau de la chair du débiteur !

Une hiérarchie des acteurs

En bon sociologue, Émile Durkheim inverse le schéma habituel du crime et du châtiment. « Il ne faut pas dire qu'un acte froisse la conscience commune parce qu'il est criminel, mais qu'il est criminel parce qu'il froisse la conscience commune. » Atteinte, la conscience collective exige réparation, de sorte que la sanction n'atteindra pas toujours l'auteur réel. Mais Didier Fassin fait remarquer que la hiérarchie des actes est indicative d'une hiérarchie des acteurs : qui punit-on de préférence ?

Est-ce à dire que certains forment de meilleures cibles pour la punition ? Que d'autres peuvent grâce à leur statut passer au travers de toute sanction ? Non seulement Didier Fassin introduit ici la pensée du soupçon, mais il semble aussi s'inscrire dans l'actualité. Un livre essentiel.

Seuil, 190 p., 17 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9561