Défense et illustration des humanités

Sans le latin...

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Publié le 03/09/2018
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Idées-Latin

Idées-Latin

Le livre part du travail d'autoévaluation demandé aux établissements scolaires italiens. Et de commentaires relevés par un journaliste de « la Repubblica » dans des rapports provenant des plus prestigieux établissements, comprenez ceux dans lesquels on enseigne le latin et le grec. Par exemple : « Dans la mesure où, (dans notre lycée), la majorité des élèves provient de familles aisées, la présence d'élèves issus de familles de concierges ou de gardiens d'immeuble, bien que minimale, suscite des problèmes de cohabitation. » Ou « Tous les élèves, à quelques exceptions près, sont de nationalité italienne, et aucun n'est handicapé. » Ainsi, dit Maurizio Bettini dans sa préface à l'édition française, « Ni étrangers, ni handicapés - les enfants de la bonne bourgeoisie n'auront pas à partager le privilège d'étudier Homère ou Virgile avec des Roumains, des Chinois, des dyslexiques ou des jeunes en difficulté. »

On l'aura compris, il y a là un aveu scandaleux selon lequel l'enseignement classique sert de passeport pour le statut et la réussite sociale. On serait tenté d'ajouter que dans le cursus français menant au baccalauréat, le choix des langues vivantes joue implicitement le même rôle, allemand, anglais puis espagnol.

La réciproque, qui vient conforter paradoxalement ces remarques, est bien connue, c'est le sarcasme à l'égard des langues dites « mortes ». Même si un membre plus très jeune de la famille fait remarquer que beaucoup de termes médicaux viennent du grec.

On se trouve ainsi devant deux mouvements diamétralement opposés : l'utilisation des langues anciennes pour faire une sélection sociale aujourd'hui ; la dévalorisation de l'ancien au nom d'une modernité utilitariste – « ça sert à rien ».

C'est précisément à l'analyse de ce petit mot « sert » que procède Maurizio Bettini. La question n'est pas mince, puisqu'il s'agit en fait de sonder toute la culture.

Ainsi consacre-t-il de nombreuses pages à montrer que le domaine culturel a été envahi de métaphores économiques. Ne parle-t-on pas de « patrimoine », de « biens », voire de gisements « culturels »… ? Des métaphores qui, selon l'auteur, induisent une vision du monde délétère.

Mémoire culturelle

Le philologue ne cesse de rappeler que notre histoire plurimillénaire s'est construite lentement. Le passage de Rome à l'Italie, exemple phare de l'ouvrage, s'est effectué dans la durée, à l'opposé de notre société du « tout, tout de suite ». La civilisation est avant tout une question de patience, elle s'est développée précisément parce qu'on n'a jamais demandé à la création culturelle « à quoi ça sert ».

Mais le temps presse, toute forme de mémoire culturelle ne peut que s'affaiblir dès lors que la société qui la possède cesse de la maintenir vivante. Il ne suffit pas de se crisper sur la tradition, de créer un savoir élitiste, il faut « continuer à en diffuser les contenus dans le présent ».

On devine que le développement uniformément accéléré d'un numérique qui recouvre notre planète ne va pas précisément dans ce sens. Maurizio Bettini se défend d'être passéiste, proposant même de faire découvrir les beautés de la grammaire latine aux enfants de migrants, créant de la sorte un passé culturel commun.

Un bain d'intelligence et de générosité.

Maurizio Bettini, « Superflu et indispensable - À quoi servent les Grecs et les Romains ? », Flammarion, 216 p., 16,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9682