Machinerie ou faiseur d'illusions

Si le cerveau nous était conté

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Publié le 11/09/2017
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Idées-Comment lire

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À mesure que grandit la connaissance du cerveau, avec notamment le développement de l'imagerie cérébrale, s'accroît le débordement de la science sur des problèmes de la vie sociale ou juridique. Par exemple, peut-on utiliser l'imagerie comme détecteur de mensonges devant une cour d'assises ? D'autre part, l'information fournie dérape facilement dans la vulgarisation simpliste.

Grâce à Laurent Cohen, nous voilà placés dans la contemplation du monde. On pourrait croire, comme naguère les philosophes rationalistes, qu'il suffit de bien observer le réel pour en avoir une idée claire, voire parfaite. Mais, dit l'auteur, « les hommes et les choses ont leur double, leur ombre qui leur ressemble et les suit partout ». Sur les coins nous voyons mal, derrière notre tête nous ne voyons plus rien. Les lueurs d'un objet sont-elles en lui ou ne dépendent-elles pas de l'éclairage ? Nous avançons dans un monde d'illusions et ce que nous voyons correspond souvent à ce que nous savons être, qui rectifie le donné perceptif. « Percevoir c'est juger », disait Alain.

Si on donne à un sujet des objets de différentes tailles mais qui ont tous exactement le même poids, par exemple des cubes de carton gris, il aura l'impression que le plus petit est le plus lourd. Piège que l'esprit tend à l'œil.

Analysant la manière dont sont reçues nos sensations corporelles, Laurent Cohen montre que « le cerveau peut créer de toutes pièces des sensations », visuelles, auditives ou tactiles, qui nous dévoilent les arcanes du fonctionnement cérébral. On connaît la célèbre illusion des amputés, qui intrigua si fort les philosophes de l'âge classique. Mais certaines sensations parasitant notre rapport au monde se laissent mal expliquer et encore moins guérir, tels les acouphènes, qui émanent du cerveau et non des oreilles, ce qui ne consolera pas ceux, nombreux, qui en souffrent.

L'hippocampe des taxis londoniens

Parmi les secteurs privilégiés de l'activité cérébrale, il y a bien sûr la mémoire, que l'écolier ou l'acteur doivent dompter. Laurent Cohen conseille de fractionner les acquisitions et se demande quelles sont ses limites. Il prend à ce sujet un étonnant exemple, celui des taxis londoniens.

Pour devenir chauffeur de taxi à Londres, il faut acquérir « the knowledge », la connaissance, au cours de plusieurs années sanctionnées par un terrible examen, sachant qu'il y a 50 000 rues dans la capitale britannique. Chez ces chauffeurs, des chercheurs ont noté un développement important de l'arrière de l'hippocampe, zone importante de la mémoire, avec un volume supérieur à celui des autres Londoniens. La grosseur de l'hippocampe est-elle la cause ou l'effet d'une aisance à naviguer dans l'espace ? On sait que l'un des traits principaux de la maladie d'Alzheimer est la difficulté à bien se repérer à l'extérieur. En tout cas, cet exemple a tout pour intéresser les philosophes autant que les neurologues.

On lira avec grand plaisir ce livre déroutant. Tantôt il nous enferme dans un strict matérialisme, tantôt il nous persuade, au travers de ces petites histoires, que la vie est un songe.

« Comment lire avec les oreilles - Et 40 autres histoires sur le cerveau de l'homme », Odile Jacob/ Sciences, 336 p., 23 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9600