Y a-t-il un modèle français ?

Souffrance en France

Par
Publié le 20/06/2016
Article réservé aux abonnés

Au début il y a la scie, l'insensé et interminable ressassement : les Français sont pessimistes, ils sont même les champions du monde. Et ceci est fortement argumenté : notre rôle dans le monde ne cesse de reculer, notre langue est de moins en moins parlée, notre insertion dans l'Europe nous a fait régresser, nous avons en particulier totalement décroché par rapport à l'Allemagne.

Ajoutons quelques strophes à ce poème macabre. Ce sont les inquiétudes liées à la situation interne : l'école ne fonctionne plus, le chômage touche une large partie des jeunes, l'intégration des immigrés connaît des ratés, etc. Des symptômes de surcroît claironnés du matin au soir par les médias, toujours pensés comme complices des dirigeants politiques.

La réponse de Marcel Gauchet se fait toujours sous la forme d'une lente cascade. Il note que, paradoxalement, une large majorité de Français sont plutôt satisfaits de leur vie personnelle. C'est donc la situation générale de la France qui les inquiète et alimente une nostalgie : notre pays n'est plus ce qu'il était, c'était mieux avant.

L'auteur a l'intelligence de ne pas rejeter en bloc l'expression de cette souffrance. Elle a même une base rationnelle : la crise financière a été l'occasion d'un reclassement des puissances et l'Occident en est le grand perdant. La mondialisation ne nous a pas faits grands seigneurs, ingénieurs qui conçoivent, organisent tandis que l'intendance suit, petit succédané de la colonisation. Bien au contraire, les Asiatiques allient mieux que nous innovation et efficacité industrielle.

Enfin, Marcel Gauchet met à jour l'incompréhension entre le peuple et « l'élite », car si cette dernière partage le pessimisme général, c'est pour dire que la France a pourtant beaucoup d'atouts, ce que ne comprennent pas ceux d'en bas – allez, secouez-vous !

Le regard de l'historien

Les analyses de l'auteur ont cette originalité de ne pas s'implanter dans les obsessions actuelles : la mondialisation qui gagne, la détestation des États-Unis et l'Europe chargée de tous les maux (même s'il montre en quoi elle a constitué un piège).

C'est plutôt en historien qu'il expertise le sort et l'image de notre pays tels que le présent en accouche. Par là même la discussion se transporte sur le terrain d'une tentative de définition du « modèle », « type » français ou « exception » française, quand ce n'est pas « identité ».

Refusant de disserter sur des abstractions, Marcel Gauchet s'accroche à la manière dont s'est opérée en France la constitution de l'État-Nation. Ceci le mène à reconsidérer la Révolution française et à affirmer que « la façon dont les Français entrent en démocratie par rupture avec l'Ancien Régime est conditionnée par une appropriation de cet Ancien Régime ». Autre manière percutante de le dire : « Pour accoucher de la patrie des droits de l'homme, il faut faire appel à l'État absolutiste ! » Ce qui ne plaira pas à tout le monde.

On voit tout ce que ce livre apporte à une réflexion essentiellement politique. Mais il révèle également sa faille en refusant tout déterminisme économique.

* Avec Éric Conan et François Azouvi, Stock, 378 p., 20 €

 

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9506