« C’est en nous souvenant du passé que nous l’empêcherons de se répéter », souligne Mary Lynn Bracht à propos de son roman « Filles de la mer » (1). Américaine d’origine sud-coréenne, elle raconte l’histoire d'Hana et Emi, deux sœurs qui vivaient sur l’île de Jeju, au sud de la Corée. En 1943, alors qu’elles pêchaient en apnée, le poisson vendu ensuite au marché, l’aînée, 16 ans, a été enlevée par des soldats japonais et déportée en Mandchourie. Alternant le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011, l’auteure brise un tabou historique, celui des « femmes de réconfort ». Les historiens estiment qu’entre 50 000 et 200 000 femmes ont été vendues comme esclaves sexuelles durant la colonisation de la Corée par le Japon.
Ancienne militante marxiste (arrêtée en 1971 à la suite du coup d’État, elle a été emprisonnée pendant deux ans, puis s’est exilée en Allemagne jusqu’en 1991), Oya Baydar est une figure majeure de la littérature turque (« Parole perdue », « Et ne reste que des cendres »). Dans « Dialogues sous les remparts » (2), elle met face à face deux femmes, une Turque de l’Ouest et une Kurde de Diyarbakir, la principale ville du Kurdistan turc. Les voix s’opposent mais cherchent à se comprendre. Pour l’intellectuelle stambouliote, la tragédie kurde est le dernier chapitre des divisions et des conflits ethniques qui se poursuivent aux quatre coins du monde.
Le roman est la forme qu’a choisie Claire Hajaj pour évoquer les dilemmes et contradictions des jeunes qui grandissent avec le conflit israélo-palestinien. Née en 1973 d’une mère juive britannique et d’un père musulman palestinien, elle s’est fortement inspirée de la vie de ses parents et de la sienne pour écrire « la Maison aux orangers » (3). Salim a 8 ans lorsque débute la guerre israélo-arabe qui oblige sa famille à fuir Jaffa. On découvre Judith, 9 ans, en Angleterre, en 1956, lorsqu'elle commence à se rebeller contre les traditions. Salim et Judith se rencontreront et s’aimeront. Parviendront-ils à faire fi de leurs histoires familiales ?
Algérie, France, Françafrique
François Muratet, qui a connu des succès dans le genre « policier », n’avait rien publié depuis « la Révolte des rats », en 2003. Il revient avec un livre qui, à travers les aventures d’un soldat embarqué dans une mission abracadabrantesque, devient le roman de la guerre d’Algérie. Le narrateur de « Tu dormiras quand tu seras mort » (4) est un jeune officier envoyé en Algérie en tant que simple soldat pour espionner le chef de section de son commando de chasse, le sergent-chef Mohamed Guellab, un guerrier hors pair admiré de ses hommes mais suspect parce qu’il est arabe. La traque engagée par l’armée française d’un détachement du FLN à travers le djebel est ainsi doublée d’une enquête qui expose les enjeux politiques de la guerre. Un livre de sang et de rage où une poignée d’hommes résument à eux seuls l’atrocité d’une guerre civile dans laquelle les concepts de défaite et de victoire finissent par perdre leur sens.
« Le Jardin d’Orléans » (5), qui donne son titre au récit de Catherine Saulieu, est un jardin public de Sétif, en Algérie. Dans cette ville a enseigné son grand-père Joseph Magloire, avant d’être muté à Tlemcen pour avoir frappé et injurié une femme juive, puis à Saint-Flour pour avoir continué à professer ses sympathies d’extrême-droite pendant ses cours. En s’appuyant sur une autobiographie rédigée à l’usage de la famille et sur un travail de recherche dans les archives publiques, Catherine Saulieu retrace l’itinéraire de cet homme issu de la bourgeoisie dévote mais ruinée à la fin du XIXe siècle, qui s’est épanoui parmi les colons réactionnaires et qui s’est nourri toute sa vie de la haine des Juifs, qui l’a transmise à ses enfants, dont la mère de l’auteure. Sans se poser en juge, cette dernière veut, à travers cette traversée d’un siècle de l’extrême-droite française, mi-roman, mi-récit historique, connaître et restituer la vérité d’un temps.
C’est également sous forme de roman historique que Victor Bouadjio (Français d’origine camerounaise, lauréat du Grand Prix littéraire d’Afrique noire pour « Demain est encore loin ») a choisi d’évoquer les terribles années qui ont conduit à l’indépendance du Cameroun en 1960 et plongé le pays dans un interminable état d’urgence. « La Veneta » (6) est le récit de cette histoire occultée qui sera fondatrice de la Françafrique. À travers l’histoire d’une famille, une dynastie indigène, avec des personnages puissants mais pas assez aguerris pour résister aux habiles manœuvres coloniales.
Il était logique que Lionel Duroy (auteur de plus d’une quinzaine de romans, dont « le Chagrin », « l’Hiver des hommes », « Échapper », « l’Absente ») choisisse pour titre de son roman « Eugenia » (7), tant le personnage qu’il a inventé est lumineux et source d’espoir. Face à elle, on trouve l’écrivain juif roumain Mihail Sebastian (1907-1945), qui a réellement existé. Eugenia a 18 ans en 1935, lorsqu'elle assiste à une conférence de ce dernier à l’université de Jassy, capitale culturelle de la Roumanie. Elle est la seule à le défendre lorsqu’il est violemment agressé par des étudiants antisémites. Elle prend ainsi conscience du péril raciste qui guette son pays, qui ronge déjà sa propre famille. Devenue journaliste, elle alertera en vain sur l’imminence du pogrom de Jassy, qui a fait 13 000 morts en quelques jours, en juin 1941. La jeune femme n’aura alors de cesse que d’approcher les bourreaux anonymes pour comprendre l’origine du mal.
(1) Robert Laffont, 424 p., 22 €
(2) Phébus, 155 p., 15 €
(3) Les Escales, 392 p., 21,90 €
(4) Joëlle Losfeld, 253 p., 18,50 €
(5) De Fallois, 342 p., 22 €
(6) Balland, 306 p., 19 €
(7) Julliard, 487 p., 21 €
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