« Les raisons de ne plus accepter l'état actuel du monde sont presque trop nombreuses. Et pourtant rien n'arrive, personne ou presque ne se lève. » Toute une trame théorique soutient cette interrogation, elle renvoie à un récent basculement dans l'ordre des idées.
Par assimilation aux bêtes sauvages (le fameux « loup pour l'homme » de Hobbes) les humains ont été pensés comme égoïstes, violents, rebelles à toute contrainte. Autrement dit, la désobéissance est première, la culture vient par la suite nous humaniser, en maîtrisant la bête en nous.
L'expérience des régimes totalitaires, des grands génocides du XXe siècle a inversé cela. L'obéissance monstrueuse a paru première. Eichmann ne comprend pas comment on peut l'accuser alors qu'il « n'a fait qu'obéir aux ordres ».
Au-delà même des célèbres exemples de l'Histoire, on peut pointer le triomphe en Occident d'une rationalité froide, technique et gestionnaire. L'homme se fait automate. Du coup, dit l'auteur, « c'est la désobéissance qui humanise ». Par là même, on accepte de ne pas toujours déléguer, comme nous y invite une société infantilisante.
Frédéric Gros n'a de cesse de nourrir le paradoxe, continuer à obéir tout en célébrant l'histoire d'Act-up, comme le fait le film « 120 Battements par minute », ou en rappelant les 343 femmes qui en 1971 déclaraient avoir avorté alors que l'IVG était illégale. Aider des migrants à passer la frontière italienne… Autant de faits montrant la permanence d'un désir de désobéissance qui, pourtant, a bien du mal à s'incarner.
Sur les pas de Thoreau
Tout en suivant ce fil, finalement assez facile et confortable, Frédéric Gros se dirige du côté d'une éthique du politique, vers « la manière dont chacun se rapporte à lui-même, se construit un certain rapport depuis lequel il s'autorise à faire ceci plutôt que cela ».
Ceci le conduit à rencontrer le poète et philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862), célèbre pour ses promenades dans lesquelles il se retrouve irremplaçable, « indélégable », apôtre d'une désobéissance civile qui lui vaudra une nuit en prison. Il ne s'agit pas ici d'une petite révolte de pacotille, mais d'une volonté « de ne pas pouvoir supporter longtemps l'intolérable ».
Tel est un peu le cas d'Antigone, figure incontournable. L'auteur montre qu'elle ne se borne pas à préférer l'ordre du cœur à celui de la Loi, mais qu'elle met en cause le principe même d'une soumission.
Voici de très riches analyses qui devraient rencontrer la curiosité d'un pays qui possède, paraît-il, un parti des Insoumis.
Albin Michel/Flammarion, 244 p., 19 €
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