De la neurophysiologie à la dominance

Un cerveau social

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Publié le 05/03/2018
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Idées-Biologie du pouvoir

Idées-Biologie du pouvoir

L'homme n'est homme que parmi les hommes, et paradoxalement nous nous individuons par le biais de la présence d'autrui. Jean-Didier Vincent fait l'hypothèse de l'existence d'un cerveau social, qui fait que nous réagissons mieux en étant entourés par les autres.

Très vite, le bébé répond au sourire de la mère, développe un mimétisme. Ce qui a permis au très regretté Gabriel Tarde de définir le groupe social comme « une collection d'êtres en tant qu'ils sont en train de s'imiter entre eux, sans être forcément à chaque instant conscients de ces conduites mêmes ».

« L'homme est aussi un animal politique », comme le disait Aristote. Plus profondément que la simple imitation, l'état d'empathie à l'égard d'autrui fait intervenir le cœur mais aussi le cerveau : l'autre est ému et je suis ému par son émotion. Cet état a pu être décelé chez l'animal, dans les tribus primitives, et étudié par des philosophes comme David Hume, Adam Smith ou Husserl, qui parlait d'« Einfühlung », c'est-à-dire souffrance de la souffrance d'autrui.

Mais le propre des études neuroscientifiques, c'est qu'elles ont un versant peu romantique, et Jean-Didier Vincent s'empresse de mentionner les complexes systèmes neuronaux et endocriniens activés dans cet état et que met en évidence l'image cérébrale.

C'est encore ce cerveau social qui rend compte du phénomène de leadership. Dans un groupe, un membre semble se détacher et exercer par les signaux qu'il émet un prestige ; et il passe facilement de la tranquille imitation à l'exercice d'une dominance.

Jean-Didier Vincent tient à se démarquer de la sociobiologie de l'Américain E. O. Wilson, qui fait de la dominance et des structures de hiérarchie un modèle d'abord animal. Mais lorsque lui-même déchiffre les mécanismes neuronaux à l'œuvre dans les comportements sociaux, ne se livre-t-il pas aussi à une compréhension très réductrice ? Que des aires ou des décharges hormonales soient impliquées dans les comédies que nous jouons avec autrui n'entraîne pas que celles-ci soient le pur effet de celles-là.

L'ouvrage se lit avec un grand plaisir, en particulier grâce à l'immense culture de son auteur et à sa volonté de toujours exemplariser ses affirmations. Mais si les schémas neurophysiologiques rendent bien compte des problèmes interhumains, ils laissent intacts certains mystères, ne serait-ce que la fameuse banalité du Mal.

Jean-Didier Vincent, « Biologie du pouvoir », Odile Jacob, 272 p., 23 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9645