Traité nouveau d'art politique

Un peuple introuvable ?

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Publié le 29/04/2019
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Idées-Tavoillot

Idées-Tavoillot

Toujours épris de distinctions, Pierre-Henri Tavoillot distingue un peuple-société et un peuple-État. Le premier de ces concepts nous emmène du côté de l'anarchisme, car il repose sur l'idée que la société se débrouille bien mieux sans l'État.

Le deuxième considère que le vrai peuple est l'État, ce qui conduit au socialisme étatique, voire au communisme. Se regroupant sous cette idée, les nombreuses théories qui insistent sur le fait que la société est une foire d'empoigne, un lieu de domination qui permet d'obtenir « un renard libre dans une société libre », les théories de Hobbes, Machiavel et Marx. L'État est un « monstre froid » dont les noirs desseins trouvent en face de lui des gouvernés marqués par la « servitude volontaire » dont parle La Boétie.

L'auteur ajoute à ces « deux peuples » une notion moins matérielle, « le peuple-opinion », qui tente d'effectuer une synthèse entre l'État qui communique ses décisions par lois et décrets et la société qui crée un espace public, dans la mesure où cet espace est autant l'art d'être gouverné que de gouverner.

Le philosophe rappelle opportunément la naissance dans l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles des salons, des clubs, des sociétés savantes. Tout comme il note malicieusement que toutes les formes de démocraties tournent facilement au pathologique. C'est ainsi qu'une généreuse notion comme la transparence devient avec Internet insipide bavardage et viol de la vie privée.

La reconnaissance de cet espace public date de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'article 11 précise que « la libre circulation des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ».

Belle revanche de l'opinion, note sarcastiquement Tavoillot. La « doxa », si longtemps méprisée dans l'Antiquité grecque et le Moyen Âge, et intelligemment réhabilitée par Kant, qui notait : « Penserions-nous bien, si nous ne pensions pas en commun avec d'autres ? »

Un cheminement

Parti à la recherche du peuple, Pierre-Henri Tavoillot feint de s'étonner de ne le trouver nulle part et nous invite à considérer que ce dernier n'est pas telle ou telle figure particulière mais une méthode. « Le peuple ce n'est ni le point de départ ni le point d'arrivée de la démocratie, mais son cheminement. » D'où une interrogation de type kantien : à quelles conditions une démocratie est-elle possible ? L'auteur en distingue quatre fondamentales : il faut des élections équitables, une délibération ouverte, des décisions nettes, une reddition régulière des comptes.

Ce parcours et les obstacles qui le marquent semblent ne pouvoir qu'engendrer la mélancolie, dit Pierre-Henri Tavoillot. À moins que ne vienne un Prince, solution machiavélienne souhaitée secrètement par les Français mais rejetée avec horreur.

 

Pierre-Henri Tavoillot, « Comment gouverner un peuple roi ? - Traité nouveau d'art politique », Odile Jacob, 368 p., 22,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9745