Brillant et pédagogique

Un vieux sage dans l'actualité

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Publié le 16/04/2018
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Idées-Et si Platon

Idées-Et si Platon

Voici donc les protagonistes face à face. Socrate et Platon, le maître et le disciple. Mais les voici aujourd'hui rencontrant le portable, Internet, Thomas Pesquet, Donald Trump, les voici entrant au Memorial de la Shoah.

On a écrit mille fois l'effet de contraste entre les deux hommes. Platon, jeune, beau (paraît-il, son nom est un surnom signifiant « le large »), né en 428 avant notre ère dans une famille aristocratique athénienne – l'un de ses oncles, Critias, fut l'un des terribles Trente Tyrans.

Socrate, vieux, marqué par une laideur devenue légendaire. Ici, le lecteur est tenté de suspendre un instant son attention, car il a des souvenirs vifs et rabâchés de ce personnage. Socrate n'a rien écrit, il ne sait rien et déclare ne savoir que cela. Son arme ? L'ironie. Mieux, ou plutôt pire, Socrate « coince » ses interlocuteurs, des sachants satisfaits.

De cette rencontre, aucun ne sort indemne. Platon apprend à questionner habilement mais en tire des conceptions discutables, en particulier en politique ; difficile parfois de s'y retrouver, dans la mesure où il « ventriloque » Socrate.

L'astuce et, disons-le, le charme du livre, est d'imaginer le vieux sage confronté aux innovations de notre modernité, ce qui permet à Roger-Pol Droit de faire un peu d'humour sur nos mœurs et au lecteur de rafraîchir sa mémoire sur quelques souvenirs de la classe de Philo.

« Dans nos poches, à l'écran, tout le savoir du monde », voici résumée l'extraordinaire facilité de connaissances que donne le portable, voici l'amnésie magiquement supprimée grâce à Wikipédia. Socrate (mais n'est-ce pas Platon ?) a souvent utilisé la métaphore des connaissances comparées (« assimilées ») aux nourritures. Celles-ci peuvent flatter le goût comme le sophiste flatte l'opinion mais se moque de la vérité et « le Gorgias » explique avec humour pourquoi le cuisinier est toujours préféré au médecin.

Un régime inquiétant

Aux deux-tiers de son livre, Roger-Pol Droit lance une bombe à fragmentation, il fait exploser son couple adoré. Bien sûr, Socrate est un lutin farceur, une « torpille ». Mais Platon a construit dans « la République » une utopie où tout se referme et où la Justice consiste surtout à ce que chacun soit bien à sa place, avec tout en haut le philosophe-roi qui voit le Vrai, le Juste, le Bien mieux que les autres. Un système qui n'a rien d'une démocratie. Le régime qui a fait périr Socrate ne peut qu'épouvanter. « Si le peuple au pouvoir et les lois qu'il promeut peuvent condamner et faire exécuter l'homme juste qui se bat pour la vérité, alors quelque chose de vicié, de chaotique, se tient au principe même de ce régime. »

À rebours, il y a dans « la République » l'esquisse d'un eugénisme, l'acceptation de l'esclavage, le rejet de l'étranger dans la maison (« met-èque ») et d'autres traits qui semblent annoncer par exemple les Lebensborn issus de la bête immonde. Au point que l'auteur n'hésite pas à sous-titrer un chapitre « Heil Platon ! ». Tout en se reprenant heureusement, il n'y a chez le philosophe grec aucun appel à l'extermination d'aucun peuple que ce soit.

Comme on le devine, il y a dans ce livre une vraie réussite, dans ce qui relève de la drôlerie anachronique. Platon heureux, lui l'ancien lutteur, de rencontrer Teddy Riner, ou se réjouissant de voir couronné le lyrisme poétique de Bob Dylan. De manière générale, le regard imaginaire de Platon sur notre société est astucieusement rendu. Notre caverne, ce sont nos écrans. Certains n'en sortent jamais et finissent par y prendre leurs ombres pour la réalité.

Roger-Pol Droit, « Et si Platon revenait... », Albin Michel, 300 p., 20,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9657