La nature et l'homme

Une empreinte à double tranchant

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Publié le 29/10/2018
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L29/10- Sud-Ouest

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Crédit photo : Grasset

L29/10- En attendant le printemps

L29/10- En attendant le printemps

L29/10- Ours

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L29/10- Nous les vivants

L29/10- Nous les vivants

L29/10- La ville au milieu des eaux.jpegChien-Loup

L29/10- La ville au milieu des eaux.jpegChien-Loup

L29/10- La ville au milieu des eaux.jpeg

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Figure importante de la littérature américaine, Joan Didion a connu la consécration en France avec « l’Année de la pensée magique », prix Médicis essai en 2007. Deux carnets de voyage inédits sont publiés aujourd'hui alors qu'est réédité  son livre culte « Mauvais Joueurs », qui date de 1970. Le premier volet de « Sud & Ouest » (1) nous ramène précisément à cette période, lorsque l’écrivaine a sillonné la Louisiane, le Mississippi et l’Alabama. Elle a vu une terre tournée vers le passé, une société aux certitudes inébranlables, où chacun – femme, Noir, pauvre, étranger – doit rester à sa place comme au temps des planteurs de coton. Dans le second carnet, elle est en Californie, une terre tournée depuis toujours vers l’avenir : en 1976, à San Francisco, elle couvre le procès de la jeune héritière Patty Hearst, enlevée par un groupuscule révolutionnaire et devenue complice de ses ravisseurs. Deux témoignages qui, des décennies plus tard, brossent le portrait d’une Amérique très actuelle.

Née en Angleterre, installée dans le Wyoming après avoir grandi en Rhodésie et en Zambie, Alexandra Fuller, dont les trois volumes de mémoires (« Larmes de pierre », « l’Arbre de l’oubli », « Partir avant les pluies ») ont été salués par la critique, s’intéresse au sort des Amérindiens. L’épopée contée dans « En attendant le printemps » (2), qui se déroule sur plusieurs générations, est celle du peuple lakota, dans le Dakota du Sud. Elle tourne autour des destins de deux cousins aux noms aussi improbables, Rick Overlooking Horse et You Choose Watson, qu’ils sont dissemblables, l’un choisissant la voie de la paix et l’autre celle de la violence en raison des injustices infligées par le gouvernement fédéral et des divisions tribales qui en ont résulté. Avec de très courts chapitres, Alexandra Fuller nous entraîne dans les grandes plaines nord-américaines rythmées par les saisons et nous immerge dans une culture cadencée par les rituels des ancêtres.

Un éternel recommencement

Inspiré par l’histoire de l’un de ses ancêtres, « Ours » (3), de Philippe Morvan, est un roman d’aventures et d’émotions. Il raconte le parcours d’un Auvergnat du XIXe siècle, qui, par désir de vengeance après que son père et son frère sont morts dans les guerres coloniales, s’est engagé à son tour dans l’armée. Pendant cinq ans, en Kabylie d’abord puis au Vietnam, il est confronté aux exactions commises par son propre camp, à tel point qu’il rejette les armes et devient missionnaire auprès des Indiens Navajos pour racheter ses fautes. Mais là encore les hommes s’entre-tuent pour dominer les terres et les esprits. Au terme de sa vie, il espère que les carnets où il a consigné ses révoltes serviront à rétablir la vérité des faits.

Auteur d’une douzaine de livres très appréciés (« l'Écrivain national », prix des Deux Magots 2014, « Repose-toi sur moi », prix Interallié 2016), Serge Joncour donne, avec « Chien-Loup » (4), un grand récit romanesque qui a pour cadre un village du Lot. Un producteur de cinéma et une ancienne actrice ont loué pour l’été une maison au sommet du mont d’Orcières, isolée et privée de tout réseau. Celle-là même où s’étaient réfugiés, au début de la Grande Guerre, un dompteur allemand et ses fauves. Les Parisiens s’émerveillent de la nature, et s’inquiètent ; en particulier d’un grand chien qui ressemble à un loup et qui s’approche sans se laisser apprivoiser. Ils apprendront que la nature, pas plus que les animaux, ne se laisse totalement dompter et que l’homme est et reste un loup pour l’homme. À cent ans de distance, une double démonstration, qui montre que l’histoire est un éternel recommencement.

Jonas est-il mort dans le crash de son hélicoptère alors qu’il venait ravitailler le gardien du refuge de Maravilla, perché dans les Andes à 4 200 m d’altitude, comme l’ont annoncé les autorités à sa femme ? Ou bien est-ce Jésus, l’ingénieur chargé d’établir des relevés précis de la frontière qui sépare l’Argentine du Chili, qui l’a entraîné dans une marche forcée vers les sommets ? C'est ce que suggère Olivier Bleys (« Concerto pour la main morte », « Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes ») dans « Nous, les vivants » (5). Au long de ce périple harassant et qui semble sans fin, Jésus, bientôt appelé le Prophète, amène Jonas au dépassement de soi mais aussi au dépouillement extrême, des choses et des souvenirs, à la solitude totale. Jusqu’à leur arrivée à la passe de l’Ange.

Manaus, porte d’entrée de la forêt amazonienne et métropole de la jungle. Qui mieux que Milton Hatoum, qui y est né en 1952 et qui est considéré comme l’un des grands écrivains brésiliens d’aujourd’hui, pouvait en parler ? Les 14 nouvelles qui constituent « la Ville au milieu des eaux » (6) sont loin de la brochure touristique. Plusieurs de ces histoires évoquent les pérégrinations de l’auteur à Paris, Barcelone ou la Californie (il a enseigné la littérature à Berkeley), mais la capitale de l’État d’Amazonas reste le point d’ancrage.

(1) Grasset, 158 p., 15 €

(2) Éditions des Deux Terres, 263 p., 20 €

(3) Calmann-Lévy, 367 p., 19,50 €

(4)  Flammarion, 476 p., 21 €

(5) Albin Michel, 180 p., 16 €

(6) Actes Sud, 157 p., 17 € (7) 

Martine Freneuil
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Source : Le Quotidien du médecin: 9698