Le foot, entre poésie et sociologie

Voyages en ballon(s)

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Publié le 22/05/2018
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Idées-Michéa

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Idées-Chambaz

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On est de son enfance comme on est d'un pays. Dans « Petite philosophie du ballon », Bernard Chambaz replonge dans son jeune âge : « Du plus loin qu'il m'en souvienne, j'ai toujours couru après un ballon. Comme on court après les ombres ou le temps. »

Brassens évoquait « la première fille qu'on a prise dans ses bras » et l'émoi rétrospectif d'une rencontre. Le livre convoque d'autres rondeurs, le premier ballon, le premier maillot, le premier but, le premier match au stade avec son grand-père, puis seul, avec 30 000 spectateurs, peut-être à Colombes.

Si le mot phénoménologie ne lui fait pas trop peur, il faut conseiller au lecteur de retrouver de façon naïve toutes les sensations qui entourent les premiers émois amoureux que génèrent ces premières rencontres.

Il n'est pas facile de faire partager sa propre passion. On sent bien que l'interlocuteur feint la sympathie et vous laisse dans votre monologue. « La passion qu'engendre le ballon garde une part d'énigme, qui me renvoie au qui suis-je », dit l'auteur.

L'entrée dans les buts prend alors dans cet opuscule une allure kantienne. L'amour du foot est, à défaut de réalité, l'impérieuse exigence d'être reconnu de manière universelle.

Le mépris des intellectuels

Esprit aigu, l'ancien prof Jean-Claude Michéa a souvent agité le Landernau de la gauche. Dans cet essai au titre bien inspiré, « le Plus Beau But était une passe », il s'appuie sur un thème connu, le mépris des intellectuels pour le foot, un « mépris de classe », Camus constituant l'exception qui confirme la règle.
Mais l'amour rend aveugle, dit la sagesse populaire, et Michéa aime profondément le foot, en lequel il voit l'archétype de l'authenticité et de l'honnêteté populaire.

L'ennui est qu'il commence par dire que la sociologie française est dominée par une doxa, celle que représentent Jean-Marie Brohm et sa ravageuse formule-titre, « Le football, une peste émotionnelle » (Folio/Gallimard, 2006). Et, de fait, de quelque côté qu'on le prenne, estime ce sociologue, le football, et son entourage institutionnel, constituent un « fascisme soft ». On y trouve la xénophobie, le racisme, la haine de l'autre au travers des équipes adverses.

C'est ainsi que des joueurs d'origine africaine sont accueillis par des cris de singe et des bananes jetées sur le terrain. Ailleurs, ce sont des saluts nazis lorsque se produit l'équipe israélienne.

Depuis la catastrophe du Heysel, en 1985, la liste des violences et des brutalités survenues lors des matchs est infinie. Chez nos distingués cousins british, tout se termine à coups de bouteilles. Entre autres exemples, à Lille, il y a quelques semaines, des supporters s'en sont pris physiquement aux joueurs sur le terrain.

Nous ne suivrons donc pas Jean-Claude Michéa lorsqu'il victimise ce sport. Pas d'informations radio ou télé sans qu'un score de foot ne nous soit généreusement donné au bout de quelques minutes.

Mais nous le suivrons totalement lorsqu'il montre comment « la crise du sport est surdéterminée par la crise globale de la société bourgeoise ». Au soi-disant mépris des intellos a en fait succédé la récupération de la baballe par les aigrefins du spectacle industriel.

– Bernard Chambaz, « Petite philosophie du ballon », Flammarion/Champs, 176 p., 8 €
– Jean-Claude Michéa, « Le Plus Beau But était une passe - Écrits sur le football », nouvelle édition, Flammarion/Climats, 176 p., 15 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9666