Dans la logique de la Vè République, l'inverse eût été préférable, le Premier ministre étant censé jouer le rôle de fusible. Mais n'oublions jamais qu'Emmanuel Macron ne se conduit jamais comme on s'y attend, qu'il se délecte de ce que d'autres présidents auraient détesté, et que, au moins en apparence, il n'exprime jamais la moindre inquiétude, même dans les périodes de crise les plus tourmentées. Que nous disent les oracles professionnels ? Que le président ne peut pas laisser l'écart de popularité avec le chef du gouvernement sans s'en irriter, sans s'en inquiéter et donc sans remédier au problème ainsi surgi des entrailles des instituts de sondage. On commencera par dénoncer l'absence de logique d'une analyse qui condamnerait M. Philippe à la démission sous le prétexte qu'il est populaire, ce qui voudrait dire que l'impopularité renforce celui qui en souffre.
Bien sûr, ce n'est pas vrai. Mais n'est pas vraie non plus l'idée que, moins populaire que M. Philippe, M. Macron devrait, lui, devenir le fusible de l'exécutif. Balivernes. Il me semble que ce président est atypique de tous les points de vue. Je le soupçonne même d'être satisfait de ce que son Premier ministre soit plus aimé que lui ; si l'on juge par ce qu'il dit lui-même de son caractère, il doit être fier d'avoir choisi ou fait un chef de gouvernement aussi travailleur, aussi calme et pondéré, aussi efficace dans nombre de cas. Je ne vois pas non plus pourquoi il ne bénéficierait pas indirectement de la popularité du Premier ministre. En réalité, le vrai problème posé par les résultats des sondages est que non seulement il est préférable, pour Macron, de garder M. Philippe à ses côtés, mais, au-delà, de songer à le nommer de nouveau à son poste actuel si par bonheur il gagne la prochaine élection présidentielle.
Les Français n'aiment pas Macron
Cela s'appelle sûrement tirer un plan sur la comète. Tant de choses catastrophiques peuvent encore se produire d'ici à mars 2022 que, popularité ou pas, le président risque un jour de vouloir se séparer de son fringant « collaborateur ». Faut-il cependant ne nourrir ses prévisions que des perspectives les plus pessimistes ? N'est-il pas utile de fouiller dans la besace la moins grosse, celle de l'optimisme ? Imaginons que la pandémie finisse par disparaître à la fin de 2021, miracle de la distanciation, invention d'un traitement ou découverte d'un vaccin. Imaginons encore que les Français travailleurs (mais oui) relancent la machine économique et que le PIB augmente de 6 ou 7 % l'an prochain. Imaginons encore le plus facile à imaginer, la persistance des divisions sérieuses de la droite et de la gauche, la satisfaction des soignants au terme de la réforme de la Sécu, l'effondrement des revendications syndicales noyées dans la générosité forcée du gouvernement. Pourquoi ne pas réélire Macron ? Car ce qui est perçu comme positif chez Édouard Philippe par l'opinion française ne peut qu'aider Emmanuel Macron.
Je ne mets aucun lyrisme dan cette analyse. Plus de la moitié des Français détestent personnellement le président de la République. Ils ne l'aiment pas, ils n'aiment pas ses manières, ses mots, ses discours, ses attitudes. Il n'a pas su non plus changer de credo, de look, d'expressions. Il continue à croire que, s'il discute avec des infirmiers, il est obligé de raisonner, de rectifier ce qu'ils disent, d'exposer la logique de ce qu'il a fait (exactement ce qu'ils abhorrent). De sorte que non, il n'est pas impossible qu'Édouard Philippe soit plus aimable, d'abord parce qu'il agit, ensuite parce qu'il ne se justifie jamais. Mais le Premier ministre nourrit-il vraiment une ambition suprême ? La question de l'avenir que chaque média veut dessiner avec deux ans d'avance ne se pose guère en ces termes. Personne ne peut dire comment la France va sortir de cette épouvantable crise. Personne ne peut jurer qu'elle ne balaiera pas et le pouvoir actuel et les prétendants actuels au pouvoir. Et personne ne peut dire l'inverse.