Le coronavirus a eu raison, en quelques jours, des dogmes en vigueur en France depuis trois ans. Là où il était question de réduire les dépenses, le gouvernement, dont la composition n'a guère changé, se met à dépenser à tout-va ; là où il fallait respecter les accords de Maastricht, réduire le déficit budgétaire et l'endettement public, on prend des libertés avec les directives européennes ; là où il ne s'agissait que de ramener le budget de la Sécurité sociale à l'équilibre, on ne compte plus les dépenses de l'hôpital. Le gouvernement ne dit pas qu'il a eu tort de se montrer avare, dans sa première vie, des deniers publics, mais il ne dit pas non plus qu'il n'est pas compétent pour faire la politique économique et financière qu'il fustigeait naguère. Au contraire, il présente comme une forme d'agilité de l'esprit sa capacité à s'adapter à une situation que personne n'avait prévue. Il tente même de prouver qu'il est allé plus vite, en matière de réactivité, que d'autres gouvernements. Et il explique que sa force n'est pas dans son credo initial qu'il ne désavoue même pas, mais dans une capacité d'adaptation singulière.
Les oppositions de gauche ont eu tôt fait d'expliquer que, en réalité, les réformes macroniennes ont affaibli le pays et vulnérabilisé le pouvoir face à l'épidémie. Que la France irait mieux avec un État fort, pas celui de Macron, mais celui d'un financement généreux de la Sécurité sociale, assurance maladie et retraites. Que seule la gauche peut conduire à bien un tel programme. L'équipe d'Édouard Philippe, et plus particulièrement le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, renvoie cette réflexion aux pelotes. Le gouvernement n'est pas celui d'un idéologue acharné à produire des résultats avec une seule ligne de pensée, mais celui de la souplesse et de la flexibilité, prompt à réagir aux événements avec vitesse, courage et maîtrise. Ce qu'il a fait. Il n'a pas été terrifié par un fléau qui remettait les réformes en question. Il a compris que la bonne manière de protéger la société française n'était pas de s'accrocher aux branches du libéralisme au moment où un malheur national exigeait que l'État lançât sa contre-offensive avec tous les moyens dont il disposait, y compris la création illimitée de monnaie.
Un changement de cap temporaire
Il a donc introduit dans sa réflexion la composante humaine que la crise demande. C'est un peu comme si les personnels soignants, qui protestaient pourtant depuis des mois contre l'insuffisance de leurs moyens et de leurs salaires, méritaient soudain, à cause de l'épidémie, ce que les pouvoirs publics ne voulaient pas leur donner auparavant. Le message subliminal envoyé par M. Macron est que sa souplesse ne date pas d'aujourd'hui, qu'il a réussi à dépenser 17 milliards pour les gilets jaunes sans remettre en cause la structure du budget et que, s'il porte atteinte à celle-ci aujourd'hui, c'est parce qu'on ne peut pas dépenser trois cents milliards de plus sans refondre complètement le budget, celui de cette année.
Peut-on le croire ? Peut-on admettre que Macron dépensier succède à Macron économe ? Les Français, s'il on en croit les sondages, ne semblent pas choqués de ce que leur président change de couleur comme un caméléon, lequel, comme chacun sait, adopte la teinte de son environnement pour se protéger du danger. Il nous semble qu'il a au moins raison sur un point, à savoir que la force d'un pouvoir politique consiste à ne jamais être submergé par un événement très grave, comparable à une guerre. Et que, face à une crise d'une telle ampleur, la gestion de l'économie devient temporairement secondaire. Emmanuel Macron n'a pas renoncé à ce qui constitue la structure même de sa politique. Il n'exclut nullement de revenir à la vigilance en matière de dépenses, surtout si le pays, libéré du virus, se lance avec enthousiasme dans le travail et la reconstruction, ce qui contribuera à l'équilibre du budget.