Pour autant que l'on puisse se concentrer sur le parcours du Rassemblement national, les choix successifs de Marion Maréchal (qui a ôté Le Pen de son nom de famille) ne sont pas inintéressants. Elle semblait devoir faire une carrière politique fulgurante puisqu'elle a été élue députée avant d'avoir trente ans et on la voyait déjà comme celle qui devait nécessairement succéder à sa tante. Elle offre effectivement une alternative agréable à Marine Le Pen, parce qu'elle est plus jeune, séduisante et semble mieux maîtriser les dossiers. Mais elle a pris brusquement un virage. Elle a créé son école d'économistes qui ne semble pas marcher trop fort, elle a pris ses distances avec la politique et, cependant, elle se lance dans une approche nouvelle du rapport de forces avec un projet : l'union des droites.
Ce qu'elle veut, au fond, c'est mettre fin à l'ostracisme que subit le RN, en s'efforçant d'en présenter la face la plus agréable, qu'elle incarne fort bien. Bien sûr, ses efforts sont perçus et décrits avec scepticisme par tous ceux qui, dans son camp, ne croient encore qu'en Marine. Mais Marion n'a pas tort de remarquer que, si sa tante s'agite beaucoup, elle n'a pas à ce jour trouvé les instruments d'une victoire à la prochaine élection présidentielle. Que la nièce ait réussi en si peu de temps à s'arracher à la domination de sa tante (et de son grand-père), qu'elle soit déjà capable de présenter un projet aussi ambitieux, qu'elle réunisse autour d'elle autant de curieux et de militants que Marine a lassés, est tout à fait surprenant.
Officiellement, Marion ne fera rien pour empêcher Marine d'aller au bout de son expérience. Dans les faits, il en va autrement. La politique n'est pas aussi subtile que l'esprit de la jeune femme : le seul fait qu'elle apporte dans le débat au sein de l'extrême droite une note plus douce, plus consensuelle, plus acceptable en somme aux yeux de l'opinion, la place dans l'opposition à Marine. Et là, on n'est plus dans une rivalité féminine et familiale : il s'agit de savoir si le RN a une chance en 2022 et, s'il l'a, qui va le représenter.
Le RN divisé
Bien entendu, Marine Le Pen, voit venir sa nièce de très loin et prononce à son sujet des propos de plus en plus acerbes. Elle a empêché ses militants d'assister à la convention de Marion, qui a invité des élus, des militants et des intellectuels comme Éric Zemmour, dont le discours contre l'immigration est l'un des plus violents qu'il ait jamais prononcés. Quand la partie de la classe politique qui va de l'extrême gauche aux Républicains dénonce le duel entre la République en marche et le RN, présenté un peu partout comme la fatalité de 2022 parce qu'il semble exclure tous les autres, ceux qui soutiennent cette thèse ne semblent pas voir que, en dépit de sa discrétion, Marion, sous le prétexte de réunir les droites, est en train de diviser le Rassemblement national.
Pour Marine, le nouveau problème présenté par Marion est plus qu'agaçant. C'est une remise eu cause de son autorité par une jeune femme qui vient du sérail, jure qu'elle ne veut pas trahir sa tante, mais se dit obligée de penser d'une manière moderne. Marion s'est lancée dans un exercice de funambule : d'un côté l'espoir d'attirer vers le RN une partie des Républicains, de l'autre le risque abyssal d'une explosion du RN. La jeunesse de Marion ne l'empêche d'avancer avec une extraordinaire prudence, celle non pas d'une jeune retraitée de l'Assemblée nationale, mais celle d'une femme qui a beaucoup réfléchi et qui a une vision plus claire que sa tante de ce que peut être l'avenir de l'extrême droite, à laquelle, probablement, elle souhaiterait donner un autre nom.
On ne peut qu'être fasciné par le combat apparemment inévitable qui se prépare entre la tante et la nièce, sous l'œil sarcastique du patriarche qui hésite entre punir Marine parce qu'elle l'a expulsé du mouvement ou punir Marion parce qu'elle s'est affranchie de son grand-père.