Cette affaire révèle plusieurs informations qui n'auraient pas dû échapper à ceux qui nous gouvernent. Premier point : les houtis disposent de drones, qui leur ont été probablement fournis par l'Iran, capables de causer des dégâts énormes puisque l'Arabie arrête la moitié de sa production. Cette vulnérabilité de l'État saoudien est confondante. Depuis que les dissidents yéménites, soutenus par Téhéran, tentent d'abattre le pouvoir installé avec l'assentiment de Riyad, l'Arabie saoudite compte bien plus de défaites que de victoires. Le manque de vigilance des Saoudiens et l'absence de sécurité des puits et des réservoirs apparaissent aujourd'hui comme des fautes irréparables.
Ce qui traduit non seulement la faiblesse et l'impéritie du pouvoir, incapable de protéger des installations vitales, mais l'absence d'une stratégie efficace à l'égard de l'Iran. Le prince Mohamed ben Salman, assez prompt à réprimer son peuple pour faire assassiner, dans des conditions atroces, un journaliste dissident au siège d'un consulat saoudien en Turquie, ce qui lui a valu les pires condamnations (verbales) des Nations unies, n'a jamais été en mesure d'imposer sa volonté au Yémen, dont les rebelles sont soutenus efficacement par l'Iran, lui-même de plus en plus agressif depuis que Donald Trump a retiré les Etats-Unis de l'accord nucléaire conclu entre Téhéran et les grandes puissances.
Le deuxième point qui ressort de cette nouvelle escalade au Moyen-Orient, c'est que, quoi qu'il en soit de nos efforts pour nous dispenser des énergies fossiles, des drones venus de nulle part suffisent à provoquer une crise énergétique en Occident. Les prix augmentent, la pénurie arrive, les marchés plongent. Ce qui veut dire que la capacité de nuisance de l'Iran va bien au-delà d'une guerre civile au Yémen. Voilà que le régime de Téhéran s'attaque directement au pétrole saoudien, ce qui va non seulement perturber le commerce du pétrole pendant plusieurs mois, mais provoquera bientôt des représailles américano-saoudiennes. Un pas vient d'être franchi vers une guerre (une de plus) au Moyen-Orient et ses conséquences, si elle avait lieu, seraient incalculables.
C'est Téhéran qui a le moins à perdre
Enfin, le rapport de forces entre l'Iran et les États-Unis n'est pas favorable à M. Trump. Furieux de la non-application de l'accord international iranien, le régime des mollahs cherche à provoquer une crise mondiale, pas forcément sous la forme d'un conflit militaire généralisé, mais en rallumant les guerres régionales de Syrie, du Liban et du Yémen. Il serait illusoire, aujourd'hui, de compter sur les « modérés » de Téhéran. La puissance des provocations de l'Iran au Yémen et de ses attaques contre des tankers dans le Golfe montre que les « durs » iraniens mènent la danse. Le mois dernier, Emmanuel Macron avait invité le ministre iranien des Affaires étrangères en France juste avant le G7. Non seulement l'Iranien est venu, mais Donald Trump a laissé faire. C'est cet espoir d'une solution pacifique que les pasdaran ont voulu tuer dans l'œuf.
Le plus surprenant, dans cette subite flambée de violence, c'est que l'Iran n'est effrayé ni par la puissance militaire des États-Unis ni par d'éventuelles représailles. Pour une raison simple : les Iraniens savent que Donald Trump est plus tenté par l'isolationnisme que par l'interventionnisme et que ses efforts pour quitter l'Afghanistan aussi dignement que possible ont échoué. Ils veulent donc le prendre à partie sur d'autres terrains de manière à ce qu'il soit empêtré dans plusieurs conflits en espérant qu'il finisse par renoncer. C'est pourquoi Téhéran provoque l'Arabie et l'Amérique et porte un coup au cœur même de la puissance saoudienne, multipliant ainsi les menaces sur plusieurs fronts, notamment syrien et libanais. Rien, dans cette affaire, n'est le produit du hasard. M. Trump a refusé d'entériner l'accord nucléaire avec l'Iran, celui-ci riposte tous azimuts, tout en se moquant des conséquences : Téhéran a moins à perdre que le reste du monde.