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Dossier

Journée mondiale contre l’obésité

Obésité, une nouvelle ère thérapeutique ?

Par Irène Lacamp - Publié le 14/03/2022
Obésité, une nouvelle ère thérapeutique ?


R. Sedlacek/adobe stock

Tous les ans, la Journée mondiale contre l’obésité permet de mettre en exergue la lutte contre ce fléau. Cette année, le 4 mars a été l’occasion de souligner le renouveau actuel de l’arsenal thérapeutique. Premier médicament pour le traitement des formes héréditaires, repositionnement de certains analogues du GLP-1, etc. : après de nombreux déboires, la pharmacopée contre l’obésité connaît un nouveau souffle. Avec, en toile de fond, une approche de plus en plus personnalisée.

Alors que, selon la dernière enquête Obépi, l’obésité concerne désormais 17 % des Français, la quête de traitements à même de lutter contre l’excès de poids est plus que jamais d’actualité. Après plusieurs décennies de tentatives infructueuses, la donne pourrait changer avec l’arrivée de nouvelles molécules aux mécanismes d’action différents.

Un premier médicament contre les formes génétiques graves

À l’occasion de la Journée mondiale contre l’obésité, le 4 mars, le réseau national de recherche clinique Force (French Obesity Research Center of Excellence), labellisé F-CRIN, spécialisé dans l’étude des obésités et maladies métaboliques associées, s’est notamment félicité de l’arrivée en France du premier médicament dédié à la prise en charge étiologique de certaines obésités graves et précoces d’origine génétique : le setmélanotide.

« Voilà vingt-cinq ans environ que des sujets porteurs de mutations dans des gènes impliqués dans la voie de la leptine/mélanocortine, indispensable à la régulation de la sensation de faim et de la dépense énergétique, ont commencé à être identifiés », évoque le Pr Karine Clément, chercheuse à l’Inserm et endocrinologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Chez les individus concernés, ces anomalies génétiques provoquent une hyperphagie conduisant à une obésité grave et précoce, pouvant s’installer « dès les premières semaines de la vie », décrit le Pr Clément. Face à ces patients, des molécules potentiellement à même de restaurer l’activité de la signalisation de la leptine/mélanocortine ont alors été développées, l’une d’entre elles se dégageant particulièrement : le setmélanotide. En ciblant le récepteur MC4R, en aval de cette voie, ce principe actif semblait capable de rétablir l’activité de la cascade de signalisation.

Depuis, les essais cliniques ont confirmé l’intérêt du setmélanotide. « On a observé, en 7 ans de suivi, des réductions pondérales allant jusqu’à 40 % du poids de départ », témoigne le Pr Clément, qui a participé au développement de la molécule depuis ses premières étapes. Soit une efficacité comparable à la chirurgie bariatrique, laquelle est contre-indiquée chez ces patients à haut risque de reprise pondérale. Mais l’apport principal de ce médicament est peut-être de rétablir la satiété. « Une impression que ces patients n’ont jamais connue, ces personnes souffrant d’une sensation de faim biologique irrépressible depuis leur naissance », souligne l’endocrinologue. D’où une amélioration majeure de la qualité de vie.

Si bien qu’après avoir reçu une AMM européenne en juillet 2021, ce produit s’est vu accorder par la Haute Autorité de santé (HAS) une autorisation d’accès précoce en janvier 2022, permettant son utilisation (et son remboursement) en France. Et ce, pour le moment, pour les sujets de 6 ans et plus ayant « une perte génétiquement confirmée de la fonction biallélique de la pro-opiomélanocortine (POMC) » – soit des patients présentant un déficit « d’un des gènes majeurs impliqué dans la voie de la mélanocortine », explique le Pr Clément. Quelques milliers de personnes seraient d’ores et déjà éligibles au traitement. Et, à l’avenir, les indications du setmélanotide pourraient être étendues, et concerner l’ensemble des déficits touchant la voie de la leptine/mélanocortine. « Une demande est en cours pour le syndrome de Bardet-Biedl, qui concerne une personne pour 150 000 », affirme dans cet esprit le Pr Clément. En fait, pour l’endocrinologue, jusqu’à 10 % des patients sévèrement obèses pourraient présenter un déficit sur la voie de la leptine/mélanocortine et devenir, à terme, éligibles au traitement. D’où la nécessité de faire progresser le repérage de ces formes génétiques.

Bien que prometteur, le setmélanotide présente toutefois plusieurs bémols. D’abord parce qu’il n’est pour le moment disponible qu’en forme injectable, à administrer quotidiennement par voie sous-cutanée. De quoi compromettre la bonne observance du traitement. « Des tests sont en cours sur une forme permettant des injections hebdomadaires », affirme toutefois le Pr Clément.

En outre, le médicament présente des effets indésirables : au-delà de troubles digestifs en début de traitement et d’érections transitoires chez l’enfant, une hyper­pigmentation est souvent rapportée. Un effet que le Pr Clément explique par la fixation du médicament à un récepteur proche du MC4R (le MC1R) situé dans les mélanocytes. La surveillance dermatologique est donc essentielle du fait d’un risque – pour le moment théorique – de cancer. « On attend des molécules d’une nouvelle génération qui seraient plus spécifiques du récepteur MC4R », indique le Pr Clément. L’émergence potentielle d’effets psychiques est aussi surveillée, en lien avec l’action centrale de la molécule.

Analogues du GLP-1, du diabète à l’obésité

Si le setmélanotide n’est dédié qu’aux individus atteints d’obésité héréditaire, les autres sujets atteints d'excès de poids sévères ne sont pas en reste. Eux aussi pourraient bénéficier de nouvelles options thérapeutiques pharmacologiques que le Pr Clément juge bienvenues alors que la médecine se trouvait jusqu'à présent « démunie » face à de nombreux patients.

Ainsi, on observe actuellement le repositionnement de plusieurs analogues du GLP-1 dans cette indication. Initialement développées pour le traitement du diabète de type 2, ces molécules ont un effet sur la glycémie mais aussi sur la régulation de l’appétit, en particulier via une action sur les aires cérébrales impliquées. Dans son programme de développement clinique Scale, le liraglutide 3 mg a permis, en complément de mesures hygiéno­diététiques, de réduire en moyenne de 8 % le poids corporel après un an de traitement. Une efficacité significative (70 %) sur la prévention et la normalisation du prédiabète a aussi été démontrée. Le tout pour un profil de tolérance rassurant, avec des effets secondaires principalement digestifs et généralement transitoires. « Ce sont des molécules que l’on connaît depuis longtemps », plaide le Pr Clément.

Fort de ces résultats, le liraglutide 3 mg a obtenu une AMM dans « le contrôle du poids chez des adultes ayant un IMC initial ≥ 30 kg/m² ou ≥ 27 kg/m² en présence d’au moins un facteur de comorbidité lié au poids (...), en complément d’un régime hypo­calorique et d’une augmentation de l’activité physique ». Il est disponible en France dans cette indication depuis mars 2021.

D’autres médicaments de la même classe devraient suivre, à l’instar du sémaglutide. Selon une étude du NEJM, ce médicament permettrait une perte pondérale de près de 15 % après 68 semaines de traitement.

Reste à préciser la place exacte de ces molécules dans la prise en charge de l’obésité, qui doit rester dans tous les cas globale et multidisciplinaire. Par ailleurs, « le liraglutide 3 mg n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, aussi peu de patients peuvent assumer son coût », déplore le Pr Clément. De plus, la formulation des analogues du GLP-1 impose des injections sous-cutanées régulières – quotidiennes pour le liraglutide. D’où des difficultés d’observance. Toutefois, selon l’endocrinologue, des discussions pour une prise en charge du liraglutide 3 mg par l’Assurance maladie
seraient en cours. De plus, des progrès galéniques ont déjà permis, avec le sémaglutide, d’espacer les injections à un rythme hebdomadaire, et des formes orales pourraient arriver.

Vers des traitements plus individualisés

Pour le Pr Clément, l’avenir devrait également autoriser une plus grande personnalisation de la prise en charge pharmacologique en fonction des divers phénotypes et génotypes associés à la maladie. Car, actuellement, les effets du setmélanotide comme des analogues du GLP-1 sur le poids apparaissent variables d’un individu à l’autre. Le futur serait aussi aux combinaisons de molécules. « On voit déjà arriver des travaux sur des associations d’analogues du GLP-1 et d’autres molécules comme le glucagon », révèle l’endocrinologue. Seraient également dans les tuyaux d’autres combinaisons incluant des molécules actives sur le système adrénergique. « Comme avec tous les médicaments d’action centrale, la vigilance est néanmoins de mise vis-à-vis de potentiels risques psychologiques, voire psychiatriques ou cardiovasculaires », conclut-elle.

Les formes génétiques, pas si rares

« On est en train de revisiter complètement les obésités génétiques », estime le Pr Clément. En effet, comme l’explique l’endocrinologue, ces formes héréditaires de maladie pourraient être bien plus fréquentes que prévu. « Car un grand nombre de récepteurs sont en fait impliqués dans la voie de la mélanocortine. » Or tous pourraient être le siège de mutations à l’origine de syndromes d’obésité génétique, et des variants de prédisposition pourraient même être identifiés, avec en perspective l’émergence de prises en charge plus personnalisées. D’où la nécessité de favoriser le repérage de ces formes héréditaires de la maladie, encore sous-diagnostiquées, déplore le Pr Clément. Pour ce faire, la formation des médecins et notamment des généralistes au dépistage des obésités génétiques pourrait être revue. Mais surtout, une multiplication des tests génétiques est à prévoir, avec des « problèmes de coûts » matériels et humains associés.