L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées illustre parfaitement le problème de la complexité administrative. Cette ordonnance, annoncée comme permettant de clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives à l’exercice de ces professions notamment au sein de sociétés d’exercice libéral (SEL), s'avère être un coup d'épée dans l'eau, l’insécurité juridique en plus !
Pour les médecins qui ont fait le choix de se structurer sous forme de SEL, l’annonce d’une rationalisation des textes était pourtant une bonne nouvelle leur permettant d’envisager un développement serein de leurs activités. Malheureusement, la réforme est non seulement cosmétique (puisque les nouvelles règles sont souvent très proches de celles de la loi abrogée et que les innovations sont mineures) mais elle est surtout précaire en l'absence de décrets d'application pourtant indispensables pour rendre le nouveau texte pleinement applicable. Cette situation n'est pas inédite en matière de santé comme le montre l'exemple de la loi Neuwirth de 1967, qui a légalisé la pilule contraceptive mais n'a été suivie de décrets d'application qu'en 1970.
Pour résoudre temporairement cette difficulté, l'administration s'appuie sur le principe de continuité de la puissance publique, affirmant que les règlements pris en application de la loi n90-1258 du 31 décembre 1990 demeurent valides tant qu'ils ne sont pas explicitement abrogés. Ainsi, les décrets d'application d'une loi abrogée continuent de s'appliquer lorsqu’ils ne sont pas incompatibles avec la règle nouvelle… créant un paradoxe juridique déroutant et ce, alors même que le Conseil d'État a souligné que lorsqu'une loi crée une situation juridique nouvelle, il appartient au pouvoir réglementaire de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa pleine application.
À chacun de se faire sa propre conviction
Ainsi, la « clarté » annoncée de l’ordonnance de 2023 s’avère obscure puisqu’il appartient à chacun de se faire sa propre conviction en l’absence d’indication donnée quant à sa compatibilité ou conciliabilité avec les décrets antérieurs.
Cette insécurité juridique est extrêmement préoccupante alors même que les antagonismes sont toujours particulièrement vifs autour de la définition de l’indépendance professionnelle et de la présence d'associés non-médecins au capital des sociétés d'exercice.
Les professionnels de santé sont laissés dans l'incertitude, ne sachant pas quelles règles appliquer
La situation est d'autant plus fragile que l'ordonnance de 2023 donne la possibilité de créer de nouvelles contraintes par le biais de futurs décrets.
Au final, les professionnels de santé sont laissés dans l'incertitude, ne sachant pas quelles règles appliquer. Cette incertitude entrave le développement de leurs structures d'exercice et rend difficile la planification à long terme. De plus, les décisions sont prises dans un contexte où il est difficile de mesurer la portée d’un grand nombre de dispositions.
La porte ouverte au lobbying
Par ailleurs, cette situation ouvre la voie à de nouvelles campagnes de lobbying, où chaque groupe cherche à obtenir des règles qu’il imagine lui être plus favorables. On ne peut que regretter l’incapacité des parties prenantes à se prononcer avec tact et mesure sur un sujet pourtant d’intérêt général à plusieurs titres.
On rappellera pour mémoire que la Doctrine d’Emploi issue de la Mission de conciliation sur la mise en conformité des sociétés d’exercice vétérinaires reconnaît que l’accord de l’investisseur non vétérinaire est nécessaire pour les décisions ayant une incidence significative sur la protection de ses droits financiers.
Il est donc crucial que les pouvoirs publics prennent conscience de cette situation et agissent rapidement pour y remédier. Il est essentiel de mettre en place des décrets d'application clairs et cohérents qui permettent de dissiper les incertitudes des professionnels de santé et de leurs associés investisseurs.
À une époque où les besoins de financement du secteur de la santé et la diminution de la dépense publique sont majeurs, nul ne peut se réjouir d’une situation d’insécurité juridique de la réglementation.
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