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Dossier

Médicament

Pas de sécurité sanitaire sans vous !

Publié le 21/06/2013

Agences sanitaires françaises, européennes, AMM, recommandations de bon usage… la sécurité du médicament est avant tout une affaire de pouvoirs publics. Mais pas seulement car le médecin est justement celui qui prescrit et qui observe l’efficacité et la tolérance d’une molécule. Entre contraintes de prescription et retour d’expériences, une nouvelle culture s’amorce.

L’affaire récente du furosémide l’a souligné une nouvelle fois : la sécurité du médicament est l’affaire de tous ! Et commence dès la paillasse des chercheurs pour se prolonger, bien au-delà des fourches caudines des agences officielles, dans le cabinet du praticien et jusqu’à l’officine du pharmacien. Avec pour les professionnels de terrains – et notamment les généralistes – un rôle essentiel en aval de l’AMM que ce soit dans la juste prescription du médicament ou en termes de pharmacovigilance.

L’Afssaps – devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2012 – n’a pourtant jamais été aussi partie prenante et proactive dans la sécurité du médicament. De fait, depuis la loi de renforcement de sécurité sanitaire de décembre 2011 qui a suivi la crise du Médiator, l’Agence a vu ses prérogatives s’accroître en matière de sécurité du médicament. Avec, désormais, d’avantage de poids et de moyens pour l’évaluation du bénéfice risque des médicaments lors de leur enregistrement mais aussi tout au long de leur vie. « Nous ne sommes plus seulement une machine à enregistrer, notre mission est aussi d’analyser l’utilisation du médicament dans la vraie vie

– notamment en termes de risque – et de corriger le tir le cas échéant », se félicite le Pr Dominique Maraninchi (directeur général de l’ANSM). Et, aujourd’hui, « notre travail est aussi de nettoyer les AMM et de les faire évoluer au cours du temps pour qu’elles correspondent à un optimum thérapeutique en terme de balance bénéfice-risque », poursuit le directeur général de l’ANSM. Ainsi, là où il y a à peine 2 ans, l’Afssaps ne pouvait que très difficilement intervenir en post-AMM, sauf événements majeurs de santé publique, l’ANSM a plus de latitude pour réévaluer le rapport bénéfice-risque des médicaments commercialisés et, en cas de doute, prendre des décisions pour la sécurité du patient.

Des AMM pas si restrictives

Reste, qu’à l’heure de l’Europe, l’Agence n’a pas toujours les coudées franches en matière d’AMM. Pour les produits, de plus en plus nombreux, autorisés à l’échelon européen. « La France ne peut toucher à l’AMM sans validation européenne, explique le Pr Jean-François Bergmann (ex-expert à l’ANSM, et chef du service de médecine interne à l’hôpital Lariboisière, Paris). Or, au niveau européen l’AMM n’est pas une structure très restrictive car la majorité des pays ont d’autres moyens pour contraindre les prescriptions en aval. Ce qui n’est pas le cas chez nous où l’AMM et, à défaut, le déremboursement, restent les principaux outils de restriction. » En témoigne l’épisode récent des pilules de 3e et 4e générations. Alors que HAS et ANSM préconisaient de concert de ne plus prescrire ces contraceptifs oraux qu’en seconde intention, la France n’a pas pu modifier l’AMM dans ce sens de son propre chef et a dû se contenter de « saisir l’Europe » sur le sujet. Tandis qu’en parallèle la ministre accélérait le déremboursement prôné quelques semaines plus tôt par la HAS.

Par ailleurs, malgré ses compétences élargies et sa volonté affichée de grand ménage, l’Agence n’entend pas non plus réduire de façon drastique les médicaments à disposition. « Certains jugent qu’il y a trop d’AMM et trop de médicaments. Je ne suis pas forcément de cet avis », indique le Pr Maraninchi qui voit plutôt d’un bon œil le fait que les prescripteurs puissent avoir à leur disposition des options thérapeutiques diversifiées et de nouvelles molécules. Sans pour autant les utiliser en masse : « Lorsqu’un médicament obtient une AMM, cela veut dire qu’on peut l’utiliser et non pas qu’on doit l’utiliser ».

Deuxième arbitrage dans le cabinet du généraliste

En d’autres termes l’AMM n’est pas un blanc-seing et ne peut se passer « d’un deuxième arbitrage au niveau du cabinet du médecin », reconnaît le Pr Maraninchi. Avec, en toile de fond, l’idée de juste prescription mise en avant à plusieurs reprises par Marisol Tourraine qui prône l’utilisation du «  bon médicament au bon patient au bon moment ». « On revient à une médecine beaucoup plus individualisée », commente le Pr Maraninchi.

À ce titre le généraliste est particulièrement concerné. À la fois, parce qu’il est, en volume, l’un des principaux prescripteurs de médicament, mais aussi et surtout parce que son rôle de médecin traitant le place en position « privilégiée » pour intégrer tous les éléments spécifiques au patient (comorbidités, polyprescriptions, etc.) à même de peser dans la balance bénéfice-risque et de moduler la prescription.

« L’ANSM fournit des données brutes qui vont être transformées à un endroit donné en ordonnance, analyse le Dr Pascal Charbonnel, médecin généraliste aux Ulis et membre du Collège de la médecine générale. Et, à l’évidence, le généraliste a un rôle essentiel dans cette dynamique à la fois en tant que prescripteur mais aussi parce qu’il est le pivot des autres prescriptions et centralise l’ensemble des données.»

Un avis que partage le Dr Isabelle Dupie, généraliste à Paris et membre de la SFTG : « Nous sommes le médecin qui a une approche globale du patient, celui qui connaît l’ensemble des prescriptions qui lui ont été faites, l’ensemble des pathologies dont il souffre et celui aussi qui peut apprécier les capacités du patient à gérer son traitement, etc. Autant d’éléments qui nous permettent d’ajuster nos prescriptions pour qu’elles soient pertinentes en terme de bénéfice risque mais réellement applicable sans danger par le patient. »

Reste que cette démarche de modulation des prescriptions demeure encore trop timide en France où la culture du médicament et le large accès au remboursement favorisent la prescription médicamenteuse. Ainsi, dans l’Hexagone, 78 % des consultations de médecine générale se soldent par une ordonnance de médicament contre seulement deux sur trois en Angleterre. Avec, à la clé, davantage de patients potentiellement exposés à des effets secondaires. Par exemple, pour la pioglitazone (cet antidiabétique retiré du marché français en 2011 en raison d’un léger sur-risque de cancer de la vessie), 200 000 patients étaient concernés en France contre seulement 20 000 outre-Manche « où les médecins prescrivent beaucoup moins, indique le Pr Maraninchi. D’où un risque d’effets indésirables multiplié par 10 en terme de nombre de patients exposés ».

Régulation des prescriptions

Dans ce contexte de prescriptions conséquentes et d’AMM larges – et de surcroît pas toujours respectées – les autorités tentent d’accompagner d’avantage les praticiens. Avec plusieurs outils à leur disposition pour aider (voir arbre décisionnel), sinon contraindre les praticiens à circonscrire leurs prescriptions en aval. Au premier rang desquels, quand elles existent, les recommandations de bonne pratique. Reste à savoir dans quelles mesures elles seront appliquées.

« La Haute Autorité de santé a pour mission de faire des recommandations et de les diffuser au maximum mais n’a pas la responsabilité de contrôler et à fortiori de sanctionner les prescriptions », rappelle le Pr Jean-Luc Harousseau, président du Collège de la HAS. L’ANSM, en revanche, peut être un peu plus incisive. Elle a par exemple la possibilité d’encadrer les conditions de prescription et de délivrance d’un médicament, comme pour l’isotrétinoïne dont la prescription doit obligatoirement s’accompagner de différentes mesures de précaution inscrites noir sur blanc lors de la prescription. Sauf intervention in extremis de la ministre, les pilules de 3e et 4e générations auraient pu connaître un sort un peu similaire en janvier dernier… L’information et les recommandations des agences auront finalement suffi puisque les prescriptions de ces contraceptions en première intention ont nettement baissé en quelques mois.

La prescription réservée compte aussi parmi les leviers utilisés par l’Agence, notamment pour contrer certaines dérives. Comme pour le clonazepam (Rivotril®) désormais réservé depuis aux neurologues et aux pédiatres pour le traitement de l’épilepsie alors qu’il était utilisé à 80 % comme antalgique.

À l’inverse, l’ANSM peut aussi, et c’est nouveau, autoriser des prescriptions hors AMM de médicaments

déjà commercialisés tout en les encadrant grâce aux recommandations temporaires d’utilisation ou RTU. Avec, là encore, l’idée de composer avec l’AMM existante et la réalité de terrain dans une optique de juste prescription et de sécurité.

Un rôle de vigie ?

Au-delà de la juste prescription, le généraliste a aussi un rôle à jouer dans la pharmacovigilance et le suivi post AMM. « L’AMM repose sur des essais cliniques qui sont toujours menés sur des populations particulières, rarement polypathologiques, rarement très âgés alors que dans la vraie vie le médicament est distribué complètement différemment », souligne le Dr Joël Cogneau (médecin généraliste à Saint-Avertin et directeur scientifique de l’IRMG) qui milite pour que la profession puisse s’impliquer davantage dans le suivi post-AMM des médicaments (voir encadré).

Un défi de taille puisqu’actuellement seuls 9 % des signalements de pharmacovigilance proviennent de la profession. « Ce qui ne veut pas dire que nous ne relevons pas les effets secondaires liés à nos prescriptions, nuance le Dr Dupie, mais plutôt que nous ne les signalons que rarement, notamment par crainte des lourdeurs administratives ». Un frein que pointe aussi le Dr Charbonnel : « Lorsqu’on sait qu’il va falloir remplir un questionnaire d’au moins 15 pages cela a de quoi démotiver?». L’argument a d’autant plus de poids que l’on estime que si un généraliste devait signaler tous les effets indésirables qu’il observe, cela correspondrait à près d’une déclaration par jour …