Où en est-on de l’épidémie de Covid-19 en France ? Si, pour le moment, les indicateurs sont plutôt au vert, la circulation du virus se poursuit et risque de s’inscrire dans la durée, prévient le Pr Geneviève Chêne. La directrice générale de Santé publique France appelle à poursuivre les efforts de surveillance et de prévention.
Un peu plus d’un mois après le déconfinement, le nombre de clusters est en augmentation en France, et certains indicateurs ont dépassé les seuils de vigilance dans plusieurs territoires. Faut-il craindre une reprise de l’épidémie ?
Pr Geneviève Chêne : En France métropolitaine, l’ensemble des indicateurs montre que la circulation du virus est globalement stable et nous n’avons pas d’éléments en faveur d’une reprise globale de l’épidémie. Même à un échelon plus local, la vulnérabilité vis-à-vis du virus est considérée comme limitée dans l’ensemble des départements, y compris ceux où l’on a pu voir certains indicateurs dépasser le niveau d’alerte.
Concrètement, nous avons fixé des seuils de vigilance relativement bas pour aider les décideurs locaux à mettre en place des mesures pour maîtriser les situations. Ce qui est important, c’est de regarder au jour le jour comment les chosent évoluent. En Meurthe-et-Moselle par exemple, après un petit pic où le nombre de nouveaux cas a dépassé le seuil de 10/100 000 habitants, la situation est stabilisée grâce notamment à des campagnes de dépistage élargies.
La découverte de nouveaux cas et de nouveaux clusters n’est donc pas inquiétante ?
Pr G. C. : Dans la mesure où nous sommes sortis du confinement avec une politique de dépistage à large échelle et où le virus continue de circuler, il est logique de découvrir de nouveaux cas et de nouveaux clusters, c’était attendu. L’important est de pouvoir les identifier, isoler les cas, tester les contacts et casser les chaînes de transmission. Actuellement, malgré quelques résurgences locales, il n’y a pas de diffusion communautaire en métropole.
En Outre-mer par contre, la circulation du virus reste élevée à Mayotte et on observe en Guyane une forte hausse du nombre de nouveaux cas, avec une diffusion communautaire qui mobilise toute notre vigilance.
Quels sont les scénarios possibles pour les semaines et les mois à venir ?
Pr G. C. : Comme c’est la première fois que l’on rencontre ce virus, il est difficile de faire des prévisions. L’évolution de l’épidémie va dépendre de facteurs que l’on connaît encore mal, comme la saisonnalité du virus par exemple, mais aussi d’éléments sur lesquels nous avons davantage la main, comme le dépistage et les mesures de prévention.
Globalement, on peut imaginer trois scénarios. Un premier très favorable où l’épidémie reste sous contrôle, avec des clusters attendus qui sont localisés et bien maîtrisés. Un deuxième où le nombre de cas augmente à bas bruit, avec des clusters critiques pour lesquels on aura de plus en plus de mal à tracer les chaînes de transmission, d’où un début de diffusion dans la communauté, comme ce qui se passe en Guyane. Un troisième enfin où l’on verrait les indicateurs repartir à la hausse, avec une perte de contrôle de l’épidémie.
Aujourd’hui, nous sommes dans la première situation et tout l’enjeu est d’éviter une perte de maîtrise qui nous ferait basculer vers les deux autres scénarios. Par rapport à février, nous sommes bien mieux armés car nous avons développé un système de surveillance très réactif et très près des territoires. Nous disposons de capacités de dépistage et de tracing importantes, et nous connaissons mieux les modes de transmission du virus ainsi que les mesures à adopter, telles que les gestes barrières, la distanciation physique et sociale, le port du masque.
Grâce à tous ces outils, nous pouvons aborder l’avenir avec une certaine confiance. Mais si l’on veut garder le contrôle de l’épidémie, cela nécessite de poursuivre tous les efforts de dépistage et de maintien des mesures évitant la transmission du virus. Or on observe depuis mi-juin un petit relâchement concernant les gestes barrières…
Vous n’envisagez pas une extinction pure et simple du virus ?
Pr G. C. : Je le répète, nous n’avons aucun recul vis-à-vis de ce virus. Le fait qu’il appartienne à la famille des coronavirus peut faire espérer une circulation saisonnière mais nous n’avons pas d’information scientifiquement probante pour l’affirmer. Pour le moment, on ne peut donc pas faire le pari de l’extinction du virus. D’ailleurs, un peu partout dans le monde, on observe des résurgences régulières, y compris dans des pays où l’épidémie pouvait être considérée comme contrôlée depuis un certain temps, comme la Chine, la Corée du Sud ou le Japon.
La circulation du virus est partie pour durer et tant que l’on ne disposera pas d’un vaccin efficace et bien toléré et de traitements pour les formes graves, il faudra continuer à surveiller, dépister, isoler, etc. Nous sommes vraiment engagés dans un effort sur le long terme, il faut le rappeler.
SPF surveille aussi la mortalité liée au Covid-19. A-t-on déjà une idée de la surmortalité totale attribuable à la première vague de l’épidémie ?
Pr G. C. : Nous n’avons pas encore chiffré de façon précise la mortalité totale attribuable à l’épidémie. L’analyse est en cours. Au niveau national, depuis la semaine 18 (du 27 avril au 3 mai), la mortalité est revenue dans les marges de fluctuation habituelle, tous âges confondus.
Concernant la part de décès liés au Covid-19 survenus en ambulatoire, le chiffre de 1 % avait été avancé. Est-il confirmé ?
Pr G. C. : Ce chiffre provient des certificats électroniques de décès. Or ceux-ci ne concernent que 20 % des décès environ et la grande majorité proviennent plutôt des établissements de santé ou médico-sociaux. On peut donc penser que cette proportion de 1 % est sous-estimée, tout en sachant que lors d’un décès à domicile, l’imputabilité au Covid-19 peut être difficile à déterminer, surtout s’il n’y a pas eu de test. Pour y voir plus clair, il faudra certainement pousser plus loin les analyses en prenant en compte les certificats papier.
Vous avez été chargés de suivre le nombre de professionnels de santé contaminés. Peut-on espérer un registre spécifique aux médecins libéraux ?
Pr G. C. : À Santé publique France, nous assurons uniquement la surveillance des professionnels des établissements de santé, pas celle des professionnels libéraux, qui relève du Geres (Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux, NDLR).
Depuis, le 1er mars, 30 675 cas ont été rapportés par plus de 1 000 établissements répartis sur tout le territoire. En proportion, ce sont les aides-soignants et les internes qui ont été les plus touchés, avec respectivement 3,5 % et 3 % des personnels infectés, contre 2 % en moyenne.
En population générale, a-t-on une idée plus précise de la proportion de français infectés ? Où en est votre enquête de séroprévalence ?
Pr G. C. : Nous avons effectivement mené une grande enquête de séroprévalence sur 14 000 personnes. Les analyses sont toujours en cours et les résultats devraient pouvoir être publiés prochainement.
Une commission d’enquête parlementaire a été mise en place pour évaluer la gestion de l’épidémie en France. Dans ce cadre, votre prédécesseur a expliqué avoir alerté dès 2018 sur le manque de masques. Étiez-vous au courant ? Selon vous, y a-t-il eu un dysfonctionnement ?
Pr G. C. : Les commissions d’enquête sont un temps de la vie démocratique important et il faudra tirer toutes les leçons des expériences passées. Mais il est encore un peu tôt pour vous répondre et pour l’instant, les équipes de Santé publique France et moi-même restons concentrées sur la gestion de la crise au quotidien. Il faut se préparer aux étapes suivantes, anticiper les prochaines semaines, continuer à promouvoir l’ensemble des gestes barrières et des mesures de prévention, le dépistage et le traçage, etc. Au-delà de la surveillance réactive du virus, il faut également rappeler l’importance de la surveillance de toutes les maladies chroniques et de tous les patients qui requièrent des soins en dehors du Covid-19.