La capitale tchèque hors des sentiers battus

Prague, dans les quartiers du renouveau

Par
Publié le 04/12/2020

Destination phare du tourisme en Europe, la capitale tchèque accueille chaque année, hors pandémie, des millions de visiteurs. Réduites au cœur historique, joyau d’architecture baroque, les visites excluent généralement les secteurs en mutation, pourtant révélateurs de l’identité praguoise. Nous vous y emmenons…

Dans le quartier de Žižkov, la statue de l'écrivain Jaroslav Hašek

Dans le quartier de Žižkov, la statue de l'écrivain Jaroslav Hašek
Crédit photo : PHOTOS PHILIPPE BOURGET

Sur la tour de la mairie de la Vieille Ville, l’horloge astronomique s'apprête à sonner 11 heures, les touristes massés à son pied pour ne pas rater le début du carillon animé. Touristes qui se limitent trop souvent à ce monument et tous ceux qui forment le décor baroque exceptionnel de Prague. Alors qu'il y a tant à voir en dehors du centre ancien, de la Ville Juive (Josefov), du pont Charles et de la colline du Château. Un parcours balisé et moutonnier pour des hordes de voyageurs, parfois plus intéressés par les boutiques que par l’excellence du patrimoine.

Alors, direction l’est du cœur de ville, au-delà de la gare centrale, vers les quartiers de Vinohrady, Žižkov et Karlin. Secteurs résidentiels a priori moins glamour, ils cachent des lieux décalés ou originaux, sur fond de mutation sociale accélérée. Ainsi de l’église du Sacré-Cœur-de-Jésus. Sur la place centrale de Vinohrady, elle dresse ses murs et son clocher de briques brunes autour d’une horloge de taille démesurée. Un design totalement inédit pour cet édifice « archi » du XXe siècle.

Puisque l’on parle de taille, cap sur la tour de télévision voisine de Žižkov. Avec ses 216 m de haut, elle offre un panorama à 360° inégalé sur Prague. Et ce n’est pas parce que des petits malins l’ont élu « construction la plus laide du monde » – à vous d’apprécier – qu’il faut l’éviter. Ses deux étages d’observation, d’un genre futuriste, abritent un restaurant « gastro » (Oblaca), un bar et même un appartement-hôtel.

Croisement d'époques

Revenu sur terre, voilà le quartier de Žižkov. Un secteur de ville aux rues pentues qui viennent étonnement buter, façon cul-de-sac, au pied d’une autre colline. Žižkov fut créé dans la seconde moitié du XIXe pour accueillir les nombreux ouvriers de l’industrie, alors en plein boom à Prague. C’est aujourd’hui un quartier d’immeubles résidentiels en voie de transformation, habité par des étudiants et des jeunes entrepreneurs séduits par des prix attractifs. Pas de site monumental, mais une ambiance comme en possèdent tous les quartiers mutants, au croisement de deux époques.

On passera par la place ronde Škroupovo, où eurent lieu les premières manifestations autorisées des dissidents, en 1988, avec Václav Havel. On s’attardera au vieux cimetière juif, adossé aux maisons du quartier. Moins connu que celui de Josefov, il accueille les tombes de grands rabbins et de savants. Plus de 40 000 personnes y ont été inhumées. Sur la place où trône la statue de Jaroslav Hašek, auteur du fameux livre « les Aventures du brave soldat Chvéïk », le restaurant Guston, lui, est un témoin social intéressant du quartier. On y savoure une cuisine de qualité dans un cadre rustico-baroque, au milieu d’une clientèle jeune et branchée.

L’étonnant tunnel piétonnier Žižkovský, creusé dans les années 1950 pour servir d’abri antibombes, perce la colline de Vitkov sur 300 m et permet de quitter Žižkov pour rejoindre le quartier voisin de Karlin. À cause des inondations dévastatrices de la Vlata en 2002, il a subi d’énormes transformations. Ex-zone ouvrière et industrielle lui aussi, sa reconquête s’est opérée à coups de réhabilitations d’usines et de constructions modernes.

Les trekkeurs urbains dénicheront le Forum Karlin, une salle de spectacles musicale, intégrée dans une ancienne fabrique. À côté, une centrale énergétique a conservé sa cheminée de briques, autour de laquelle se déploie un bâtiment réhabilité (Kotelna 55), accueillant café branché et sociétés de service. Plus loin, l’immeuble Butterfly, aux murs végétaux, abrite Pivo Karlin, une méga brasserie récente où se presse à midi une néo-clientèle de bureaux.

La reconversion la plus étonnante reste toutefois celle de Kasarna Karlin. L’ancienne caserne du quartier est devenue un espace consacré aux cultures urbaines. Autour de l’immense cour centrale fermée, à l’ambiance un peu sinistre, elle abrite expos d’art, studios de création, salle de concert et un café… installé dans l’ex-piscine des militaires.

Anciens abattoirs, culture et boutiques

Sur l’autre rive de la Vlatva, hôte de la célèbre colline du château Royal, le « quartier du méandre » Holešovice complète le périple dans ce Prague du renouveau. Encore un secteur ouvrier, marqué par l’emprise d’anciens abattoirs immenses. Enclaves dans la ville, les halls d’abattage et d’équarrissage mutent progressivement en lieux culturels et commerces, symbolisés par la salle de spectacles Jatka 78, dédiée au nouveau cirque et au théâtre non verbal. Près de là, DOX, centre d’art contemporain déployé dans une ancienne usine de machines-outils, se reconnaît au Zeppelin en bois fixé sur le toit. Immanquablement, une gentrification accompagne ces mutations. Elle ne s’exprime nulle part mieux ailleurs qu’à Vnitroblock, un site industriel (décidément !) interlope devenu un grand espace de working, avec café-snack, dance studio et design shop. On est loin des attroupements panurgiens de la place de la mairie de la Vieille Ville…

Philippe Bourget
En complément

Source : Le Quotidien du médecin