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Dossier

Santé mentale

Psychothérapie : une prescription à part entière

Par Claudine Proust - Publié le 04/04/2022

Annoncé par le président de la République en septembre dernier, le dispositif MonPsy devient opérationnel ce mois-ci, rendant possible l’adressage de patients à un psychologue pour des séances remboursées. Une nouvelle possibilité bienvenue, alors que les psychotropes sont de plus en plus pointés du doigt. Pour autant, la prescription d’un accompagnement psychologique doit répondre aux mêmes exigences que celle d’un médicament, que ce soit en termes d’adhésion du patient, d’effets attendus et de réévaluation. Au risque, sinon, de ne pas rendre service au patient.

Prescrire prioritairement une psycho­thérapie plutôt que des médicaments… Pour certains patients en souffrance psychique légère à modérée, les recommandations invitent à lever le stylo sur les prescriptions de psychotropes au profit de séances de psychothérapie. Mais ces préconisations butaient jusqu’ici sur un écueil majeur : leur non-remboursement. Le dispositif MonPsy veut y remédier en ouvrant, dans certains cas (lire encadré), la possibilité de prise en charge, sur orientation d’un médecin, de huit séances chez un psychologue. « Même si je suis assez d’accord pour considérer que ce n’est pas assez, c’est un assez bon dispositif, commente le Pr Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand. L’intérêt est que la réponse psychothérapique devienne enfin envisageable sur certaines formes de souffrance mentale. »

Alors, psychothérapies toute, en jetant les médicaments aux orties ? Avant de foncer tête baissée, cette nouvelle possibilité ouverte aux généralistes nécessite d’écarter quelques écueils. Car « la psychothérapie n’est pas une solution miracle : il ne faut en prescrire ni trop, ni trop peu », met en garde le Dr Pierre-Yves Sarron, psychiatre au CHRU de Tours et référent du projet de liaison innovant Médecine générale et psychiatrie 37, lancé en janvier 2021 avec six CTPS d’Indre-et-Loire.

Pas une mais des psychothérapies

Depuis que le métier de psychothérapeute a été encadré en 2010, exigeant pour s’inscrire au registre national une formation validée en psychopathologie clinique (400 heures minimum) et un stage pratique (5 mois minimum), on craint moins d’adresser à un thérapeute autoproclamé douteux, rassure le Pr Llorca.

Cependant, « il n’existe aucune technique transversale qui permette de prendre en charge efficacement toutes les difficultés », souligne le Dr Sarron. Toutes les psychothérapies ne valent pas pour tous les troubles. « Même les thérapies comportementales et cognitives (TCC), qui s’avèrent inefficaces par exemple sur les décompensations maniaques de troubles bipolaires », précise-t-il.

Or, pour un généraliste, difficile en 15-20 minutes d’évaluer puis orienter « plutôt vers une TCC ou une psychothérapie par mouvements oculaires (EMDR) sans en avoir les bases. Si on adresse juste pour que le patient ne soit pas seul, s’il est motivé et si le courant passe avec un thérapeute bienveillant, cela peut bien sûr marcher, quelle que soit la technique. Il y aura un effet, mais cela ne traitera pas le trouble », met en garde le psychiatre.

L’indispensable adhésion des patients

Par ailleurs, si tentant soit-il d’adresser, « tous les patients éligibles n’ont pas forcément envie de psychothérapie », prévient le Pr Llorca. Avant de les orienter, « il est important d’être attentif à ce qu’ils en pensent : si on ne le sait pas, on altère la possibilité que cela fonctionne. Et cela nécessite d’abord d’interroger leurs représentations », encore souvent imprégnées de l’image psychanalytique véhiculée par le cinéma. « Certains ont plutôt une attente pharmacologique et disent d’emblée qu’ils n’ont aucune envie d’aller déballer leur vie, méconnaissant le travail d’une psychothérapie, qui n’a rien à voir avec un déballage », souligne le psychiatre. Devant ce cas de figure, il conseille de ne pas se précipiter, « alors qu’il n’y a pas d’urgence thérapeutique, et de prévoir une ­deuxième consultation pour laisser réfléchir, avant d’adresser à un psychothérapeute ».

Tous les patients éligibles n’ont pas forcément envie de psychothérapie - Pr Pierre-Michel Llorca

Discuter de la motivation du patient est aussi fondamental que lorsque l’on prescrit tout autre traitement, pour éviter l’inobservance, insistent de concert les deux psychiatres. Et parfois, si l’on sent que le patient ira à reculons, même si le bénéfice des antidépresseurs par rapport à la psychothérapie fait débat pour les plaintes anxio-dépressives légères à modérées, mieux vaut peut-être opter pour le médicament, estime le Pr Llorca.

La meilleure psychothérapie est d’abord celle à laquelle on adhère. Encore faut-il, pour emporter cette adhésion, pouvoir expliquer au patient de quoi il retourne. Or la tâche peut être délicate pour un médecin traitant, reconnaît le Dr Sarron, ce d'autant que « même si l’exercice est encadré, il y a sans doute une grande variété de pratiques entre thérapeutes ».

Fixer des objectifs précis

« Si la psychothérapie n’est pas dangereuse en soi, rassure Pierre-Yves Sarron, elle peut avoir des effets indésirables, exactement comme les médicaments. De la même façon qu’on ne prescrit pas un anti­biotique ou un bêtabloquant à la va-vite, il faut bien réfléchir aux indications. » Un patient déprimé, qui aurait par le passé souffert d’un psychotraumatisme, peut décompenser, le voir ressurgir et augmenter son anxiété si on l’adresse à un thérapeute EMDR qui n’aurait pas le bagage spécifique PTSD (Post-traumatic stress disorder).

Si la psychothérapie n’est pas dangereuse en soi elle peut avoir des effets indésirables - Dr Pierre-Yves Sarron

Éviter les effets indésirables exige aussi de réfléchir ensemble « à l’objectif du court travail encadré vers lequel on oriente et dans lequel le patient va devoir être actif », au-delà de « j’ai mal et je veux aller mieux ». Certains ont des attentes démesurées et le dispositif MonPsy ne couvre que des thérapies courtes. « On peut faire très bien en thérapie brève », rassure le Dr Sarron : si le besoin est cerné, on ne prend pas beaucoup de risques. Mais « les patients déprimés peuvent avoir des profils très différents : plutôt fatigue et sans motivation, plutôt anxieux, ou irritable ». Tous n’ont pas le même passif non plus. « Si le problème sous-jacent est un problème d’affirmation de soi, 8-10 séances de TCC peuvent être très efficaces. Même chose pour une dépression légère marquée par l’an­hédonie si l’on a d’abord ciblé le besoin : retrouver de l’énergie ou apprendre à juguler ses crises d’angoisse. »

À défaut d’indication cadrée, « on donnera juste un coup d’épée dans l’eau », prévient le psychiatre, citant en exemple « l’anxieux, qui débarque au cabinet sous tout prétexte, en besoin permanent de réassurance. Si vous l’adressez en psychothérapie pour apprendre à gérer ses montées d’anxiété par des techniques de relaxation et de décentration, très bien. Sinon, il ne trouvera chez le psychothérapeute qu’une figure transitoire de réassurance. Huit séances plus tard, il n’aura pas gagné en autonomie. » Même alerte face aux patients dont le tableau clinique évoque une dépression légère, mais cache un trouble constitutionnel de personnalité. « Beaucoup ont en effet un problème sous-jacent de lien, un passé d’attachement insécure, des traits de personnalité limite (hypervigilance, perfection, peur de l’abandon). Sans objectif, la psychothérapie terminée, cela peut être compliqué pour eux. Le trouble anxieux ou abandonique peut se chroniciser » et favoriser un nomadisme médical.

Réévaluation régulière

Pour jongler au mieux avec cette délicate équation, « ne prescrivez pas à l’aveugle », insiste le Dr Sarron. Réévaluez, en cours de psychothérapie, si le traitement auquel vous avez adressé le patient est bien toléré et améliore son état : « de la même façon que vous réévalueriez un traitement antihypertenseur. »