Qu'on l'admette ou non, le nouveau Premier ministre efface lentement le souvenir de son prédécesseur. Il travaille sur le terrain et il apporte à ses dialogues avec les élus locaux et le peuple rural sa ferme simplicité. On se tourne inévitablement vers le pouvoir quand on est plongé dans le désarroi. La mort d'une gendarme, fauchée par un chauffard, le meurtre d'un chauffeur de bus, dans des conditions atroces, ont laissé un pays consterné qui réclame le retour de l'ordre que M. Castex incarne bien. Dans ces deux circonstances pénibles, le chef du gouvernement, qui a incité ses ministres à se rendre eux aussi en province, a montré l'exemple. Avant les actes, les mots apaisants, le partage du deuil, l'assurance que la justice passera. Ce n'est pas nouveau, mais il s'agit d'un exercice où il faut savoir ne jamais prononcer un mot de trop. Castex sait.
Il a rondement mené l'accord sur les soignants de l'hôpital public, médecins compris. Une majorité syndicale l'a signé. L'accord a jeté de l'eau sur l'incendie naissant. Le ciel de l'été sera plus serein. Mais au-delà des vacances avec lesquelles les Français renouent dans l'enthousiasme, la rentrée sera agitée, d'autant que le président de la République souhaite remettre sur le tapis la réforme des retraites. Elle n'aura sans doute pas l'ampleur du projet précédent, mais le président y tient pour au moins deux raisons : le déficit des régimes est devenu alarmant (30 milliards au lieu de 4 pour cette année) et le chef de l'État veut rester l'homme qui tient ses promesses. Il a compris que l'espoir d'attirer vers la République en marche des électeurs écologistes ou de gauche est mince, sinon nul. Il a décidé d'appliquer un programme de droite et compte sur M. Castex pour y parvenir, sans trop expliquer pourquoi, dans ces conditions, il a cru bon de laisser partir Édouard Philippe.
Un talisman
Il n'est plus temps de revenir sur ce fait du prince. C'est Castex qui est aux manettes par le bon vouloir des institutions. C'est lui qui, face à l'opposition de tous les syndicats, patronat compris, devra acter la réforme des régimes de retraites. Pour réussir, il lui faudrait un talisman. Il peut trouver un compromis qui élimine l'âge pivot, ce qui réduirait d'autant l'ampleur de la réforme ; il peut aussi convaincre Emmanuel Macron qu'il a le temps ; il peut s'imposer en offrant des concessions séduisantes. Mais la peur d'une deuxième vague épidémique, l'entêtement syndical, une reconstitution éventuelle des gilets jaunes, des manifestations et heurts avec la police créeront une atmospère très lourde qui conduira fatalement à un échec du pouvoir.
Contrairement à ce que l'on trouve dans le discours de tous, y compris à la REM, Macron conserve ses chances d'être réélu. La REM perdra les sénatoriales, réservées à des élus, dont la majorité se situe dans l'opposition. Elle perdra aussi les régionales. Cependant, dans l'ordre de bataille des élections générales de 2022, les partis d'opposition sont divisés. Chez les Verts, Yannick Jadot est concurrencé par Éric Piolle, le maire réélu de Grenoble ; le mouvement est divisé en mille tendances, c'est une auberge espagnole où chacun apporte ses fantasmes. Le PS ne sera sorti ni de ses divisions ni de son affaiblissement. La droite, qui remonte, est hypnotisée par la faculté de Macron à lui prendre une belle partie de son électorat. L'extrême gauche sera autour de 10 pour cent. Seul le Rassemblement national passera le cap du premier tour, probablement avec la REM. Les sondages, bien qu'ils soient trop précoces, le montrent. Ce qu'ils indiquent est quand même essentiel : les élections intermédiaires ne disent rien de l'état mental de la population. Il existe, partout dans le pays, France d'en bas, France d'en haut, une majorité silencieuse qui ne crie pas, ne manifeste pas, et qui est horrifiée par la réduction de la politique à la violence. C'est elle qui sera au rendez-vous de 2022.
Richard Liscia