« Au cours de ce périple, je me suis forgé une conviction : le mouvement qui assurera la relève est et sera créé par des leaders, sur le terrain. » Entre 2013 et 2015, le journaliste Paul Goupil a rencontré une bonne trentaine de généralistes bretons, de tous les âges, de tous les styles et de toutes les chapelles. L’ouvrage qu’il en a sorti revient sur ces trajectoires si diverses de toubibs entre les années 60 et aujourd’hui.
Pas étonnant a priori que dans ce territoire si longtemps enclavé revienne comme un fil rouge cette lancinante question qui fait le titre et la trame de son livre : « Qui va nous soigner ? » La crise démographique n’est pourtant pas le propre de la Bretagne, puisqu’elle se pose peu ou prou dans toutes les régions désormais. Crise ? À l’issue de son tour d’Armorique des cabinets médicaux, l’auteur préfère parler de « véritable mutation », tant il est clair pour cet observateur que rien ne sera jamais plus comme avant.
Pour en arriver à ce constat, il a d’abord sonné à la porte des "historiques". Les Charles Honnorat, Fernand Herry, et autres pionniers de l’EPU, de la FMC et de la maîtrise de stage qui –dans ces terres de l’ouest, plus qu’ailleurs peut-être- ont donné à la discipline ses lettres de noblesse et ont porté la filière universitaire sur les fonts baptismaux. C’était bien avant que la médecine générale devienne une spécialité… Et jusque-là, ça n’a pas encore suffi à rendre le métier attractif aux yeux des jeunes. Même si Paul Goupil assure que « les départements de médecine générale sont les creusets essentiels des changements en cours ».
Ainés et jeunes : apprendre à travailler ensemble
[[asset:image:9066 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Cette génération qui s’est installée dans les années 70-80 a connu toutes les évolutions : c’était le temps où une patientèle ne se faisait pas en claquant des doigts, et où les médecins étaient encore (trop ?) nombreux; pour réussir à faire son trou, il fallait savoir composer « avec des confrères pas toujours enclins à faire une place au nouveau venu. » Ces médecins séniors ont connu toutes les évolutions. Le pire comme le meilleur : pression croissante de la sécu, dépossession de pans entiers de l’activité traditionnelle du généraliste, quasi-disparition des visites, irruption d’internet, arrivée des premiers stagiaires…
Le livre regorge aussi de portraits de jeunes et notamment de jeunes femmes, toutes plus motivées les unes que les autres. Comme Magali, « qui a choisi la médecine générale parce que l’on peut tout faire, que c’est la plus riche des relations avec toutes les générations. » Ou comme Mathilde, 26 ans, encore interne, qui explique : « j’adore ce que je fais, et c’est important, sinon, vous devenez un médecin aigri qui dit ne soigner que de la rhino-pharyngite. »
Le journaliste breton – dont le précédent bouquin était consacré aux agriculteurs- s’attarde sur la révolution culturelle qui secoue la profession et qui devrait conduire à un véritable remembrement du paysage médical ; en Bretagne, comme un peu partout, d’ailleurs. Parce que le contre-la-montre n’est plus le sport favori des jeunes. Et l’auteur insiste : femme ou homme, le genre ne change pas grand-chose à cette aspiration au temps choisi. Parce qu’aussi la nouvelle génération ne veut plus du travail en solo…
Pour Paul Goupil, confrontés à cette nouvelle donne, les médecins installés n’ont pas le choix. Et d’expliquer entre les lignes qu’il y a deux catégories de praticiens : les aigris qui pestent contre le dilettantisme supposé des jeunes et ceux qui ont compris qu’il fallait s’adapter. À vrai dire, il a assez peu rencontré les généralistes de la première catégorie. Mais certains de ses contacts les évoquent sans fard. « Ils sont nombreux ceux, qui, à l’approche de la retraite, pleurent sur les jeunes qui ne veulent pas venir, mais ne font rien pour aider à la relève, » lui rapporte ainsi, Éric Mener, l’actuel directeur du département de médecine générale de la fac de Rennes. À l’inverse, l’intéressé, généraliste en maison de santé à Ploërmel, assure : « en nous regroupant, nous sommes devenus plus attractifs pour les jeunes ».
Des solutions au plus près du terrain
[[asset:image:9071 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["SPL\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]S’adapter à tout prix, mais comment ? Dans son livre, Paul Goupil évoque tous les modèles, des plus libéraux aux plus intégrés. La région n’en manque pas, paraît-il : « 60 projets d’exercice pluriprofessionnel ont été écrits, souvent avec un consultant ». Le journaliste ne délivre aucune solution miracle. Mais il rapporte de ce tour de Bretagne quelques recettes. Un zeste de réalisme, d’abord : on ne retrouvera pas le maillage d’antan. On dénombre une quarantaine de cantons sous-médicalisés dans cette région, mais « n’attendez plus un médecin dans chaque village, prévient le Dr Gérard Durand. « Il faudra aller au cabinet du chef-lieu, » annonce cet ex-généraliste aujourd’hui consultant.
Deux enseignements émergent encore de cette plongée dans la médecine générale bretonne. Et d’abord, qu’il n’y a de bonnes initiatives que si elles émanent du terrain : « l’impulsion doit venir des médecins », témoignent les expériences qui marchent, de Mauron ou Malestroit dans le Morbihan en passant par Lanmeur dans le Finistère, et jusqu’à la banlieue rennaise. Paul Goupil rapporte une dernière leçon de ses rendez-vous avec les médecins bretons : l’anticipation. En matière de projet de santé, l’improvisation est, selon lui, plus encore qu’ailleurs à bannir ; conseil valable pour les élus comme pour les praticiens : « il ne faut pas s’y prendre à la dernière heure, comme ce couple qui, un an avant la retraite a pensé qu’accueillir un stagiaire allait leur assurer un successeur… »
Du temps, de l’énergie, quelques stagiaires au fil des ans : et si c’était ça finalement le trio gagnant… En tout cas, Paul Goupil est convaincu que le moteur est d’abord local : « tel leader syndical, tel responsable de département, tel lanceur de groupe auront davantage pesé qu’un ministre, parce qu’ils auront suscité cette ‘contamination de proximité’ qui déplace les lignes. »
"Qui va nous soigner ? La délicate relève des médecins généralistes". Edts Dialogues, 150 p, 16 €
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