Roulez tambours, sonnez trompettes
Les papes du marketing prédictif de Cisco nous l’annoncent, il faut, d’ici à dix ans, remplacer et connecter les 1 450 milliards d’objets existants. Et s’ils sont tous de la marque, au moins n’y aura-t-il pas de souci d’interopérabilité. Pas sûr que les Apple, Google, Microsoft, Amazon, Qualcomm et consorts soient du même avis. McKinsey le prédit*, d’ici à 2025, l’Internet des objets (IoT) portera une valeur comprise entre 4 et 10 000 milliards dollars américains (USD) par an dont 200 à 1 500 milliards USD pour la seule santé. À son acmé, le phénomène IoT impacterait 11 % de l’économie mondiale. Deloitte** y va de son rapport affirmant que le nouvel Eldorado utiliserait 60 % des objets connectés au bénéfice des relations entre entreprises (B2B) et que 40 % de la valeur serait créée via les consommateurs (B2C). Pour IDC, seule 1 % des données générées sont utilisées en réalité. Le déclinant IBM, quant à lui, témoigne de l’obsolescence rapide de la valeur de ces données dès après collecte.
En vérité je vous le dis, l’existant n’existe pas
À titre d’exemple, à l’échelle d’une simple maison de retraite de 80 lits, c’est plus de 2 000 objets qu’il faudrait remplacer : capteurs médicaux, outils mobiles, gestion des bâtiments, etc. À l’échelle des territoires de santé, ce sont plus de 40 000 patients télé-assistés qu’il faudrait rééquiper. Avec un abonnement de 20 euros par mois, qui finance ? Pour autant, l’Internet des objets a une vertu et non des moindres : celle d’imposer la connectivité comme une évidence. Tout objet, physique ou logique, qui ne peut se connecter, et dont les informations ne sont pas accessibles simplement est voué au crépuscule de l’Histoire. Autres conséquences, un flamboyant avenir pour les opérateurs de télécom (nécessité de robustesse du réseau), pour les analystes de données (nécessité de savoir ce que l’on recherche), pour les inter-opérateurs virtuels (nécessité d’exploiter des données) et le cloud (nécessité d’entrepôts virtuels de données). Pour autant, la promesse d’un avenir « meilleur » et hyper connecté des techno-évangélistes de tous poils, est d’autant plus facile à exprimer qu’elle se passe en laboratoire, hors sol, en considérant les contraintes de l’existant comme inexistantes.
Houston, we’ll have a problem
Que représentent réellement ces chiffres et au regard de quoi ? Quels services utiles à la santé publique, abordables et pérennes pourront être créés à partir de cette manne numérique ? Qui est prêt à faire le grand saut en passant au tout-connecté. Qui en a les moyens ? Pour autant, nos territoires regorgent d’informations inexploitées. Nous sommes entourés de technologies de tous domaines et de toutes générations qui sont imbriquées dans notre quotidien : capteurs de variables vitales, bâtiments, transports, hôpitaux, énergie, services, banques, assurances, domicile, etc. Considérer tous ces objets comme obsolètes – telle une dette technologique – à mettre au rebut et à remplacer par la dernière technologie en vigueur – laquelle sera elle-même dépassée dans dix-huit mois (Loi de Moore), n’a pas de sens et surtout aucun sens économique. Tout change si l’on « rend » ces systèmes « connectés » par des moyens amortis depuis bien longtemps. Dès lors, cette dette technique se transformera soudainement presque comme par magie en un capital, qui plus est, exploitable. On se demande où est passé Merlin l’Enchanteur.
Aristote et la Lex Parcimoniae (310 BC)
Les philosophes l’ont pointé du doigt ou plutôt de leur pensée, depuis la nuit des temps, qui affirment que « deux choses étant égales, la solution la plus simple est toujours la meilleure ». Ce principe dit « de parcimonie » permet de décrire le futur quand se posent les questions du choix. Selon la démonstration mathématique de Solomonoff (Proceedings, "Algorithmic Probability and Friends. Bayesian Prediction and Artificial Intelligence", Springer, LNAI/LNCS 7070), la solution la plus simple s’impose à l’évolution des choses et des êtres devant deux hypothèses. Ainsi, on peut prédire qu’il sera possible de réconcilier la dynamique créée par l’Internet des objets et la complexité des besoins et des contraintes budgétaires. On peut décrire un processus en quatre phases ou étapes :
1. Collecter la diversité et la nature des objets en place.
2. Lister les objectifs d’un service attendu : connecter un patient à son domicile, coordonner des équipes d’urgence, éviter les déplacements inutiles, limiter les courriers internes, etc.
3. Rapprocher les deux précédentes en considérant le niveau de service obtenu en tirant parti de l’existant.
4. Définir les objets dont la performance limite le service, et à ne remplacer que sur l’autel de l’efficacité du service rendu.
Ainsi, dans un site hospitalier, rendre tous les systèmes existants connectés permet de créer de nouveaux services utiles aux métiers et à un coût infiniment moins élevé que s’ils avaient dû être remplacés. On peut citer l’exemple d’un patient à domicile conservant son système de téléassistance auquel il s’est habitué alors qu’un nouveau patient bénéficiera du dernier objet connecté en vigueur. Et tous deux accèderont au même centre de service.
Plaidoyer pour une transition digitale pragmatique
La révolution numérique du monde de la santé peut s’opérer de manière pragmatique en intégrant les objets de tous domaines et de toutes générations. Ces objets, connectés entre eux, constituent une fantastique source d’information pour la création de services utiles aux territoires. Ces derniers, ont pour base la gestion au quotidien du patient dans son parcours, qu’il s’agisse de la collecte des données des patients, de la gestion des RDV ou de la coordination de l’ensemble des acteurs d’un territoire (Plan d’urgence, télésanté, etc.).
Tout est connectable et sans révolution permanente. C’est souhaitable et faisable dans un objectif d’utilité à la santé publique. Nous allons dans le sens du député Gérard Bapt, président du Groupe d’étude numérique et santé à l’Assemblée nationale qui affirme « qu’en améliorant l’efficience globale de l’offre de soins, ambulatoires et hospitaliers, notamment par la généralisation de systèmes d’information et d’échanges numérisés adaptés aux différents usages, nous allons dans le sens de la qualité du parcours de soins. Le comité stratégique de la filière santé évalue à 15 000 le nombre de créations d’emplois dans le secteur de l’e-santé, dont 10 000 dans de nouveaux métiers de télésurveillance ».
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** Internet of Things : Mapping the Value Behind the Hype, McKinsey.
** Tendances en technologie de 2015, Deloitte.
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