Tous les jours, des milliers de personnes sont malades et contraintes d’arrêter quelques jours ou quelques semaines leur activité professionnelle. Cela peut être « un maçon avec une pathologie du tendon de l’épaule ; une jeune femme travaillant dans la grande distribution avec des problèmes lombaires ; une femme de 50 ans en burn out car laissée à l’abandon par son patron… », raconte le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, citant des exemples récents d'arrêts qu'il a signés.
De son côté, le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S, décrit « des jeunes épuisés ; un patient chronique avec des problèmes articulaires, dont des troubles musculo–squelettiques à répétition ; des états dépressifs de patients suite au départ de leur psychologue… » Autant de situations différentes qui montrent, selon les deux représentants syndicaux, qu’il est illégitime de reprocher aux médecins, face à des patients en détresse, de signer ces arrêts.
Trop de policiers arrêtés cet été ?
Pourtant, ces dernières semaines, c'est bien l'avis des médecins qui a été remis en question dans la délivrance des arrêts de travail aux policiers. Pour protester contre le placement en détention provisoire d’un fonctionnaire de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille pour « violences aggravées » sur le jeune Hedi, grièvement blessé par un tir de lanceur de balle de défense (LBD) et dont une partie du crâne a été retirée, des policiers – qui n’ont pas le droit de manifester – ont répondu à l'appel du syndicat Unité SGP Police invitant, le 23 juillet, à assurer le service minimum. D’autres se sont vus accorder des arrêts maladie. Si le mouvement est difficilement quantifiable, le procès en complaisance a une nouvelle fois été soulevé.
« Jamais je ne dirai que mes confrères ont signé ces arrêts de travail par complaisance… Comment voulez-vous qu’un généraliste refuse d'arrêter un policier qui dit "je suis épuisé, à bout de nerfs, je ne me maîtrise plus" ? », affirme fermement le Dr Marty.
Même son de cloche du côté du Dr Nogrette : « Les policiers, que l’on sait surmenés avec la crise des Gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et récemment les émeutes, se suicident deux fois plus que la moyenne nationale et, en plus, sont armés. Nous prenons donc plus de précautions : ces personnes peuvent être dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres ». Mais, tient-il à ajouter, ces précautions concernent également d’autres professions. « Sur des métiers à risque, par exemple un ouvrier qui travaille sur un échafaudage, nous évitons de prescrire des somnifères car ils peuvent entraîner de la somnolence. »
Des AT pouvant être annulés par l'administration
Le Dr Nogrette note aussi que dans ses rangs, « certains adhérents étaient troublés, à Marseille, par ces événements et d’autres avaient peur que nous passions pour des distributeurs d’arrêts maladie ». Le débat était déjà lancé depuis juin dernier avec la mise sous objectif (MSO) de 1 000 médecins « forts prescripteurs » par l’Assurance maladie – ce que les syndicats avaient unanimement contesté, notamment pour ce qui concerne le mode de calcul – et des entretiens programmés avec 5 000 autres.
Mais les arrêts des policiers peuvent être refusés. En effet, un arrêt du Conseil d'État datant d'avril 2023 considère que l'administration française peut rejeter des arrêts maladie lorsqu'ils sont établis massivement et de manière inhabituelle dans le cadre d'un mouvement social, alors que les agents ne disposent pas du droit de grève.
Les policiers dont les arrêts seraient rejetés auraient huit jours pour justifier le motif médical de leur absence et pourraient en dernier recours saisir le Conseil médical compétent. « S’il faut la preuve du fait médical, devant qui faut-il le montrer ? Une instance administrative ? Cela reviendrait à rompre le secret médical… Ce n’est pas possible », réagit le Dr Marty, qui précise toutefois que, depuis, le phénomène a désenflé.
Les arrêts maladie, « pas systématiques »
Interrogée au micro de France Info mercredi 9 août, la députée Renaissance (majorité présidentielle) Stéphanie Rist a plaidé, face à « l’explosion du nombre d’arrêts maladie », pour que « le débat ne porte pas que sur la minorité d’arrêts de complaisance ». Elle a aussi affirmé que « l’arrêt maladie, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas systématique », avançant que lorsqu’on « a besoin de repos, ce sont les congés ou les RTT, mais pas l’arrêt maladie ».
Mais les médecins signent-ils de façon systématique des arrêts maladie ? Pas si sûr. « J’interdis la reprise du travail si elle est dangereuse, avance le Dr Nogrette. Quelquefois, je leur propose de s’arrêter et ils me disent que ça ira. Un jeune adulte avec une angine à qui je propose de s’arrêter trois jours quand il a de la fièvre me dit qu’il fera du télétravail. J’essuie pas mal de refus de la part des gens qui ne veulent pas laisser leurs collègues seuls… Je pense toutefois qu’il faut faire attention avec les humains, car nous ne sommes pas des machines ! », argumente-t-il.
De son côté, le Dr Marty affirme : « Si mon patient a un état grippal, je lui impose l'arrêt uniquement s’il exerce un travail nécessitant une hyperconcentration, comme pilote d’avion. » Pour le généraliste de Fronton (Haute-Garonne), « la réalité du cabinet, c’est qu'il y a des patients que je dois engueuler pour les arrêter, comme les artisans ou les personnes qui travaillent à leur compte ; et d’autres, minoritaires, à qui je refuse des arrêts car leurs demandes sont abusives ». De plus, ajoute-t-il d’un air malicieux, « nous signons des avis, pas des arrêts de travail… En théorie, la Caisse les vérifie ! » L'agression mercredi 9 août du généraliste niçois chargé par la CPAM de vérifier la validité de l'arrêt de travail d'un patient montre bien le climat compliqué à gérer pour les professionnels.
Davantage de prévention au travail
Mais se concentre-t-on, avec les arrêts de travail, sur le vrai problème ? Négatif, souffle le Dr Nogrette. « Il y a une vraie souffrance au travail, avec des conditions d’exercice toujours plus difficiles, des sous-effectifs partout, des personnes qui bossent plus dur et plus tendu et, par conséquent, qui se font plus mal… Si les conditions d'exercice sont à revoir, la meilleure réponse à ce problème est une prévention du burn out et des troubles musculo-squelettiques ». Prévenir pour mieux guérir, un vœu pieux parmi les autres ?
Dans son interview à France Info, Stéphanie Rist a également rappelé le chiffre de trois millions d’arrêts maladie pour des raisons psychiques, notant « un enjeu de prévention » et une action nécessaire pour améliorer la situation des personnes « en difficultés au travail ». Ainsi, des mesures devraient être prises lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). La députée du Loiret est claire : « Il ne doit pas y avoir de sujet tabou sur ces arrêts maladie ». À suivre, donc.
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